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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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motif de ma visite.
    â€” Vous avez été embauché par ce Juif.
    â€” Il s’appelle Samuel Cohen.
    â€” …
    Devant le visage surpris du jeune homme, l’avocat précisa:
    â€” Il a un nom, c’est une personne: Samuel Cohen. Dire «ce Juif» n’est pas plus précis qu’utiliser «ce catholique» pour vous désigner. Pourquoi faites-vous cela?
    â€” La grève? Nous défendons nos droits.
    â€” Mais lequel de vos droits a été brimé?
    â€” Ce type nous vole nos emplois.
    â€” Vos emplois? Vous possédez des places dans cet hôpital?
    â€” Arrêtez de jouer à l’imbécile. C’est un établissement catholique. Cet étranger n’a rien à faire ici.
    Parce qu’il avait élevé le ton, les autres internes s’étaient rapprochés. Un instant plus tard ils formaient un cercle intimidant autour de l’avocat. Comme les rats, ils préféraient agir en bandes, sans doute.
    â€” Samuel Cohen est un citoyen britannique, tout comme vous et moi.
    â€” Certainement pas. C’est un Juif.
    â€” À sa façon de s’exprimer, je soupçonne même qu’il est né dans cette ville. Et en passant, pour votre culture, le mot «juif» désigne une appartenance religieuse, pas une nationalité.
    â€” Nous ne laisserons plus ces métèques nous envahir, prendre notre commerce, nos emplois. Il est temps que les Canadiens français résistent à l’assimilation.
    â€” L’assimilation? Samuel Cohen parle un meilleur français que le vôtre!
    Son interlocuteur lui jeta un regard mauvais, les autres murmurèrent dans son dos. Une voix peu amène prononça derrière lui:
    â€” Déguerpissez. Ce ne sont pas vos affaires.
    â€” Mais nous sommes sur la voie publique, répondit Renaud en tournant sur lui-même pour chercher des yeux celui qui venait d’ouvrir la bouche. Auriez-vous l’intention de m’empêcher de circuler à ma guise?
    â€” Mais non, monsieur l’avocat des Youpins, ricana André Blanchet. Vous pouvez même vous rendre à l’hôpital Notre-Dame parler aux collègues qui se sont mis en grève ce matin pour nous appuyer. Ou devant n’importe quel hôpital catholique de Montréal. Partout, les internes refusent de se laisser dépouiller encore plus des emplois qui leur reviennent de droit.
    â€” Je vois, monsieur le raciste. Vous pouvez me dire qui vous inspire ces propos? Le Parti de l’Unité nationale d’Adrien Arcand? Le mouvement Jeune-Canada? Les Jeunes Patriotes? Ou alors un autre groupe de la même eau né au pied du monument Chénier ou devant les murs de la vieille prison Au-pied-du-courant?
    â€” Va te faire foutre, siffla Blanchet entre ses dents.
    Le faible verni de savoir-vivre de son interlocuteur se fissurait. Mieux valait mettre fin à cet entretien avant de recevoir un mauvais coup. Renaud ne s’épargna tout de même pas le plaisir d’une petite saillie:
    â€” Mais c’est une bonne idée, aller me faire foutre! Toi, avec tes dents cariées et ton odeur, car je dois dire, l’haleine mêlée à la sueur, ouf…
    L’avocat agita sa main devant son nez, pour chasser des effluves nauséabonds, avant de continuer:
    â€” … Tu en trouves, des personnes à foutre, comme tu l’exprimes si élégamment, où tu as épousé ta main droite jusqu’à la fin des temps?
    Sur ces mots, autant s’esquiver sans tarder…

    Le poste de police d’Outremont se révéla à peine plus accueillant que la ligne de piquetage. Renaud y passa au milieu de l’après-midi. Dans l’embrasure de la porte du bureau du capitaine Tessier, il demanda:
    â€” Je peux vous déranger un moment?
    â€” Ai-je vraiment le choix?
    De la main, le policier lui désigna la chaise devant lui.
    â€” Alors, Élise Trudel vous a-t-elle dit la vérité?
    â€” J’ai trouvé des témoins pouvant confirmer l’essentiel de son histoire.
    Ce n’était pas tout à fait la même chose, mais la justice devait s’en contenter. Après un soupir, il continua:
    â€” Ils forment un couple peu discret. Dès la gare Windsor, un porteur m’a affirmé se rappeler d’un homme avec une kippa sur le crâne venu accueillir une grande Canadienne française aux cheveux bruns.

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