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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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prendrait peut-être fin bientôt. L’idée ne lui répu-gnait plus autant, mais s’il devait en arriver là, ce ne serait pas sans lutter.
    â€” Si vous m’avez donné rendez-vous pour me demander ma démission, continua le professeur, c’est peine perdue. Je préférerai recevoir une lettre de congédiement. Et soyez certain que je ferai tout le bruit possible sur la situation et les circonstances y ayant conduit. Voilà douze ans que je suis ici…
    â€” Voyons, il ne s’agit pas de cela!
    Le doyen savait que la menace n’était pas vaine. Renvoyer un professeur dont personne n’avait mis la compétence en doute à la demande d’un petit quarteron de racistes, à une époque où l’Université de Montréal dépendait plus que jamais de la charité publique pour sa survie, aurait été bien imprudent. D’autant plus que ce personnage était proche du Parti libéral, qui pouvait se trouver de nouveau au pouvoir à Québec très bientôt.
    â€” Je voulais simplement vous inviter à plus de prudence.
    Vous avez eu des mots avec le docteur Pouliot…
    â€” C’est une façon de décrire notre échange. J’en garde un souvenir qui ferait un joli récit.
    L’autre risqua un signe de la main, comme pour calmer l’humeur belliqueuse de son interlocuteur:
    â€” Je sais que c’est un vieil imbécile, mais il a un ascendant sur ses collègues. Hier soir, sans doute au moment où de jeunes fous vous faisaient ce tour pendable…
    â€” À sa demande…
    Le doyen reprit son geste apaisant.
    â€” Vous savez attirer vous-même le ressentiment des internes. Votre échange dans la rue Saint-Urbain, à ce qu’on m’a dit…
    â€” … Moi qui étais venu à Montréal en pensant que l’on y vivait dans un certain anonymat, comparé à Québec.
    Renaud se sentit rougir un peu. Mieux valait ne pas ajouter que cet interne malodorant n’avait pas volé de se faire dire ses quatre vérités.
    â€” Comme j’essayais de vous l’expliquer, au moment où vos nouveaux amis plaçaient leur pièce de charcuterie sur votre porte, Pouliot tenait une réunion des médecins œuvrant dans les hôpitaux catholiques de la ville. La rumeur veut que ceux-ci se mettent en grève à leur tour lundi prochain.
    â€” Diantre, tous les établissements paralysés! Il possède ce pouvoir?
    â€” Il s’agit d’une petite coterie: tous ces médecins ont été formés ici. Et la plupart doivent penser que leurs collègues juifs leur font une trop forte concurrence. Tous les professionnels ont de la difficulté à gagner leur vie, depuis le début de la crise. Les malades se laissent mourir dans leur taudis sans consulter.
    Boycotter des «étrangers» pour sauver les assises économiques de la race, une solution privilégiée par les lecteurs des périodiques nationalistes, se remémora Renaud.
    â€” Je vous ai demandé de venir ici afin de vous convaincre de consentir un geste d’apaisement, pour calmer les esprits, continuait le doyen. Le mouvement pour obtenir la démission d’un interne juif pourrait se transformer en cabale contre vous.
    Cela se pouvait bien. Ou plutôt, une cabale des nationalistes contre un libéral notoire. La petite politique partisane ne se trouvait jamais bien loin sous la surface, dans la province de Québec.
    â€” Que voulez-vous dire, par un geste?
    â€” Un mot gentil à Pouliot, par exemple.
    â€” À ce vieil idiot? Jamais. Voyez-vous, je suis assez prospère pour me priver de mon emploi de professeur. En fait, mon épouse est en train de me convaincre que je deviendrais plus riche encore si je ne mettais pas autant de temps à enseigner des notions de droit à des esprits pas très éveillés.
    Pouvoir se passer sans mal d’un salaire que, de toute façon, je n’ai pas touché depuis cinq mois donne une liberté extraordinaire: celle de ne pas avoir besoin de m’avilir devant une personne que je méprise.
    â€” Je ne suis pas vraiment surpris de votre réponse, répondit son interlocuteur avec un sourire. J’avais d’ailleurs averti le recteur que ce serait une perte de temps de vous demander cela. L’histoire avait déjà été discutée en haut lieu, sans doute

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