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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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bureau poussiéreux, à peine plus grand que le sien. Derrière sa table de travail, après les salutations glaciales, le médecin attendit que son visiteur lui fasse part de l’objet de sa visite.
    â€” Vendredi dernier, j’ai reçu Samuel Cohen à mon bureau.
    Tout de suite, le visage de son interlocuteur perdit la plus infime trace d’aménité pour revêtir un air de défi.
    â€” Un jeune homme charmant. Il m’a semblé très talentueux, enchaîna l’avocat.
    â€” En fait, il a terminé premier de sa promotion. Je viens de regarder ses notes.
    â€” Il m’a parlé de la petite difficulté où il se trouvait.
    â€” … Je ne savais pas que les petites difficultés des internes en médecine préoccupaient les professeurs de droit.
    Le ton était devenu tranchant.
    â€” Je suis son représentant. Son avocat, si vous voulez. Il m’a demandé d’aplanir cette difficulté.
    â€” Cela peut se réaliser très simplement: il n’a qu’à effectuer son stage à l’Hôpital juif, comme ses six camarades.
    â€” Il semble préférer le continuer à l’Hôtel-Dieu, ce qui paraît convenir aussi à la direction de cet établissement.
    â€” Si vous voulez mon avis, la religieuse qui administre cet hôpital a fait une curieuse interprétation de la condamnation du nazisme faite récemment par M gr Gauthier. Celui-ci ne désirait certainement pas que nous livrions nos institutions aux étrangers.
    Reprenant une initiative du pape, l’archevêque de Montréal avait condamné le Parti de l’Unité nationale, le regroupement «naziste», comme écrivaient les journalistes, dirigé par Adrien Arcand. L’avocat se priva de dire au doyen que cette religieuse lui paraissait au contraire bien sage. Elle pensait sans doute que si les autorités diocésaines avisaient la population de se tenir loin d’une association antisémite, cela signifiait aussi qu’il ne fallait pas afficher une attitude raciste.
    â€” Puis de toute façon, les autres internes ont le droit de refuser de travailler avec lui, précisa le praticien.
    â€” Mais chacun d’eux a un contrat avec l’hôpital.
    â€” Que l’établissement les poursuive, alors. Je demeure certain que sœur Saint-Jean-l’Évangéliste trouvera plus sage d’annuler celui de Cohen. Si vous voulez rendre service à ce jeune homme, conseillez-lui d’oublier cette histoire. Les Juifs sont solidaires, on lui cherchera une place dans l’hôpital de sa communauté. Les Canadiens français de leur côté sont en train d’apprendre la solidarité. Protéger les emplois des leurs en est une manifestation. Je suis heureux que ces jeunes montrent l’exemple.
    Renaud afficha un sourire en coin. Les internes avaient sans doute concocté leur projet dans le bureau même du doyen.
    â€” Je comptais sur vous pour raisonner ces étudiants. Leur faire voir que leur intolérance ne leur servirait à rien. Son seul effet sera de priver les Canadiens français des services d’un excellent médecin. Vous venez de me dire qu’il était le premier de sa promotion.
    â€” Ces jeunes ont tout à perdre, au contraire, face à cet étranger qui va leur voler leur clientèle. Les Juifs nous envahissent, ruinent les marchands de langue française, prennent les meilleures places dans les professions. Il est temps de se serrer les coudes pour les empêcher de nous piller encore plus.
    â€” Si je comprends bien, vous n’éprouvez aucune envie de calmer les ardeurs racistes de ces jeunes gens. J’en suis à me demander si vous ne les inspirez pas.
    Le médecin serra les poings, posés sur son pupitre. Il répondit, la voix voilée par la colère:
    â€” S’il y avait un témoin, je vous poursuivrais pour diffamation.
    â€” Je me rends compte que le droit n’est pas votre spécialité. Pour me faire condamner, vous devriez convaincre un juge que j’ai nui à votre réputation en vous traitant de raciste.
    Je n’aurais pas trop de peine à démontrer que vous inspirez ce petit mouvement de grève.
    Le docteur Pouliot se leva d’un coup, avec dans les yeux une envie de frapper. Il se contenta de dire d’une voix blanche:
    â€” Dehors, l’ami des Youpins. Je vais

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