L'Eté de 1939 avant l'orage
Au restaurant, le cahier des réservations portait le nom de madame Trudel. Ils occupaient une table un peu à lâécart. La chambre dâhôtel a aussi été réservée par cette femme, mais le personnel se souvenait de son compagnon et le reconnaissait sur la photo que jâavais avec moi. En fait, tout le monde a identifié cette photoâ¦
â Je présume quâelle faisait les réservations par souci de discrétion, le nom de son amant étant connu du public.
â Je suppose aussi.
â Et maintenant, quâarrive-t-il à Davidowicz?
â Demain, je me paierai un petit voyage à Sainte-Agathe.
Je retournerai partout une seconde fois, à la gare, au restaurant, à lâhôtel, pour trouver dâautres témoins. Jeudi, je serai en mesure de remettre mon rapport. Ensuite, je vous lâai déjà ditâ¦
â ⦠Le Procureur décidera. Je sais. Merci infiniment.
à moins dâun événement imprévu, dans quelques jours le sort de lâun de ses clients juifs serait réglé. Lâavocat craignait que ce ne soit pas le cas pour le second.
Le lendemain, tous les journaux faisaient état de la grève des internes de tous les hôpitaux catholiques de Montréal.
Même les papiers reconnaissant son bon droit opinaient que Cohen, pour mettre fin à cette situation préjudiciable aux malades, ferait mieux de remettre sa démission. Quant aux feuilles nationalistes, elles ne trouvaient rien à redire de lâaction des jeunes médecins. Au contraire, plaidaient-elles, ils donnaient lâexemple à leurs aînés plus pusillanimes dans ce domaine, afin de restaurer la dignité de la race canadienne-française. Quand arriverait le prochain numéro de La Nation , le petit hebdomadaire séparatiste publié à Québec par Paul Bouchard, Renaud y constaterait sans doute lâexpression de lâantisémitisme le plus pur. Le premier qualificatif qui lui viendrait à lâesprit serait «allemand».
Tout juste au moment dâémerger de lâocéan de papier que la presse déversait sur son domicile, un coup de fil pria lâavocat de se présenter chez son doyen, pour discuter dâun «petit incident» survenu à lâUniversité. à onze heures, en appro-chant de son bureau, il comprit. Un clou avait été planté dans le linteau de la porte, sur lequel pendait une tête de porc.
Celle-ci avait dégouliné sur le bois, laissant une traînée sanglante jusquâau plancher. Une grande feuille de carton portait les mots «Daigle le Youpin», une étoile de David et quelques croix gammées.
Autant faire demi-tour et aller tout de suite chez son patron, un avocat assez en vue de la ville. Le vieil homme le reçut avec un «Vous avez vu?» plutôt amusé.
â Assez difficile à manquer, comme décoration. Je comprends quâon a jugé utile de tout laisser là afin que lâensemble du campus soit au courant, plutôt que de faire ramasser cette⦠cochonnerie ce matin.
Bien sûr, quelquâun de bien placé dans lâétablissement tenait à ce que tout le personnel de lâédifice et les étudiants qui hantaient les parages pendant le trimestre dâété puissent profiter du petit spectacle. Lâinitiative pouvait émaner de nâimporte qui: dans les comités de direction de toutes les sociétés nationalistes friandes dâantisémitisme se trouvaient les noms de plusieurs de ses éminents collègues. Certains venaient des sciences sociales, dâautres de médecine ou de droit. Même le modeste Institut pédagogique Saint-Georges contribuait à la fournée des sauveurs de la race qui jugeaient utile dâattaquer les Juifs pour souligner leur message.
â Nâayez crainte, ce sera enlevé sous peu. Je mâen suis occupé. Mais il y a plus grave, les représentants des associations étudiantes se sont rendus ici pour demander votre renvoi. Je crois que certains de leurs dirigeants ont rencontré M gr Olivier Maurault, le recteur, pour le même objet.
â Si je comprends bien, il ne leur reste quâà voir lâarchevêque de Montréal.
Depuis sa conversation avec Virginie, Renaud commençait à se dire que le temps de son bénévolat à lâUniversité de Montréal
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