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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Au restaurant, le cahier des réservations portait le nom de madame Trudel. Ils occupaient une table un peu à l’écart. La chambre d’hôtel a aussi été réservée par cette femme, mais le personnel se souvenait de son compagnon et le reconnaissait sur la photo que j’avais avec moi. En fait, tout le monde a identifié cette photo…
    â€” Je présume qu’elle faisait les réservations par souci de discrétion, le nom de son amant étant connu du public.
    â€” Je suppose aussi.
    â€” Et maintenant, qu’arrive-t-il à Davidowicz?
    â€” Demain, je me paierai un petit voyage à Sainte-Agathe.
    Je retournerai partout une seconde fois, à la gare, au restaurant, à l’hôtel, pour trouver d’autres témoins. Jeudi, je serai en mesure de remettre mon rapport. Ensuite, je vous l’ai déjà dit…
    â€” … Le Procureur décidera. Je sais. Merci infiniment.
    Ã€ moins d’un événement imprévu, dans quelques jours le sort de l’un de ses clients juifs serait réglé. L’avocat craignait que ce ne soit pas le cas pour le second.

    Le lendemain, tous les journaux faisaient état de la grève des internes de tous les hôpitaux catholiques de Montréal.
    Même les papiers reconnaissant son bon droit opinaient que Cohen, pour mettre fin à cette situation préjudiciable aux malades, ferait mieux de remettre sa démission. Quant aux feuilles nationalistes, elles ne trouvaient rien à redire de l’action des jeunes médecins. Au contraire, plaidaient-elles, ils donnaient l’exemple à leurs aînés plus pusillanimes dans ce domaine, afin de restaurer la dignité de la race canadienne-française. Quand arriverait le prochain numéro de La Nation , le petit hebdomadaire séparatiste publié à Québec par Paul Bouchard, Renaud y constaterait sans doute l’expression de l’antisémitisme le plus pur. Le premier qualificatif qui lui viendrait à l’esprit serait «allemand».
    Tout juste au moment d’émerger de l’océan de papier que la presse déversait sur son domicile, un coup de fil pria l’avocat de se présenter chez son doyen, pour discuter d’un «petit incident» survenu à l’Université. À onze heures, en appro-chant de son bureau, il comprit. Un clou avait été planté dans le linteau de la porte, sur lequel pendait une tête de porc.
    Celle-ci avait dégouliné sur le bois, laissant une traînée sanglante jusqu’au plancher. Une grande feuille de carton portait les mots «Daigle le Youpin», une étoile de David et quelques croix gammées.
    Autant faire demi-tour et aller tout de suite chez son patron, un avocat assez en vue de la ville. Le vieil homme le reçut avec un «Vous avez vu?» plutôt amusé.
    â€” Assez difficile à manquer, comme décoration. Je comprends qu’on a jugé utile de tout laisser là afin que l’ensemble du campus soit au courant, plutôt que de faire ramasser cette… cochonnerie ce matin.
    Bien sûr, quelqu’un de bien placé dans l’établissement tenait à ce que tout le personnel de l’édifice et les étudiants qui hantaient les parages pendant le trimestre d’été puissent profiter du petit spectacle. L’initiative pouvait émaner de n’importe qui: dans les comités de direction de toutes les sociétés nationalistes friandes d’antisémitisme se trouvaient les noms de plusieurs de ses éminents collègues. Certains venaient des sciences sociales, d’autres de médecine ou de droit. Même le modeste Institut pédagogique Saint-Georges contribuait à la fournée des sauveurs de la race qui jugeaient utile d’attaquer les Juifs pour souligner leur message.
    â€” N’ayez crainte, ce sera enlevé sous peu. Je m’en suis occupé. Mais il y a plus grave, les représentants des associations étudiantes se sont rendus ici pour demander votre renvoi. Je crois que certains de leurs dirigeants ont rencontré M gr Olivier Maurault, le recteur, pour le même objet.
    â€” Si je comprends bien, il ne leur reste qu’à voir l’archevêque de Montréal.
    Depuis sa conversation avec Virginie, Renaud commençait à se dire que le temps de son bénévolat à l’Université de Montréal

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