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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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dès le moment où le professeur avait quitté le bureau de Pouliot le lundi précédent.
    â€” Je suis mandaté pour vous réclamer un autre petit geste: convaincre Cohen de laisser tomber.
    â€” Cela, je l’ai fait lors de ma première rencontre avec lui.
    Pas pour faire plaisir aux racistes, bien sûr, seulement pour lui épargner des frustrations. Mais ses arguments sont irréprochables, il a raison. J’abandonne à quiconque la veut la mission de lui faire entendre la déraison. Car cet individu est dans son droit, il est ignoble de lui demander d’abdiquer.
    Vous savez qu’il a terminé premier de sa promotion?
    â€” Là n’est pas la question. Cinq hôpitaux se retrouveront sans médecin lundi prochain.
    â€” Ce dont Pouliot sera responsable, pas ce jeune homme.
    Si dans dix ans vous avez à consulter un praticien pour une maladie grave, choisirez-vous d’aller chez notre ineffable dirigeant de la Faculté de médecine, ou chez Cohen?
    La journée du doyen de la Faculté de droit ne serait pas facile…
    â€” Je vois déjà un médecin juif. Comme nous imposons des quotas qui limitent la présence de ces étudiants dans nos murs, nous nous retrouvons avec les meilleurs d’entre eux.
    â€” Surtout, les Canadiens français nous arrivent des collèges classiques à peu près incultes. Difficile pour eux de soutenir la compétition.
    â€” En ce qui concerne les sciences, cela paraît évident.
    Depuis dix ans, une vaste discussion avait cours sur les lacunes de l’enseignement scientifique dans les établissements secondaires dirigés par le clergé. Quelques améliorations insignifiantes avaient été consenties à ce sujet.
    â€” Quant à moi, je ne circonscrirais pas le problème de leur inculture aux sciences. Rabâcher du latin d’église et apprendre par cœur les philosophes catholiques, cela ne fait pas une base bien solide, dans notre monde de plus en plus scientifique et technique.
    â€” Mais vous avez évoqué devant moi votre intention d’inscrire votre fille aux humanités classiques?
    â€” Son choix.
    La mine du doyen exprimait l’idée que les enfants ne devaient pas avoir voix au chapitre sur ces questions. Renaud choisit de mettre fin à la rencontre plutôt que de s’engager dans une nouvelle discussion sur l’éducation des jeunes adolescentes.
    â€” Alors, je dois dire au recteur… relança le vieil homme.
    â€” Que Cohen se trouve tout à fait dans son droit.
    L’hôpital n’a qu’à mettre fin à son engagement en lui offrant un dédommagement honnête. Quant à des excuses à Pouliot, mieux vaut ne pas écorcher les oreilles du digne prélat qui nous sert de recteur en lui répétant ce que j’en pense. Par gentillesse, je ne vous dirai même pas le fond de ma pensée à ce sujet. Mais vous trouverez certainement les mots pour l’en informer.

    Le problème se régla de lui-même. En sortant de chez le doyen, Renaud se rendit chercher le concierge dans sa loge et exigea que celui-ci aille enlever sur-le-champ la tête de porc. L’homme obéit en maugréant: mais dans sa position il ne convenait pas de mettre en colère les professeurs. L’avocat se fit un devoir d’occuper son bureau pendant quelques heures, juste pour montrer que personne ne le chasserait des lieux. Au moment de partir, il vit une figure pâle se découper dans l’embrasure de la porte.
    â€” Monsieur Daigle, je peux vous rencontrer?
    â€” Monsieur Cohen, je ne vous demande pas quel bon vent vous amène. Asseyez-vous, je vous prie.
    â€” Je ne prendrai pas beaucoup de votre temps. Je voulais juste vous dire que j’abandonne. J’ai donné ma démission tout à l’heure.
    Renaud demeura silencieux un instant, avant de prononcer:
    â€” Je suis désolé d’entendre cela. Je comprends toutefois que votre situation devenait intenable. À tout le moins, vous dédommagera-t-on pour le contrat rompu?
    â€” Non, puisque c’est moi qui démissionne. On m’a même fait sentir que j’étais chanceux de ne pas être poursuivi pour bris de contrat.
    â€” Les salauds. Ce n’est pas si simple. Nous pourrions les attaquer, de même que les internes…
    Déjà, l’avocat enfourchait son cheval

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