L'Eté de 1939 avant l'orage
obtenir que vous ne reveniez plus jamais dans cette université.
â Je vous souhaite aussi une excellente journée.
Sur ces mots, en lui adressant son meilleur sourire, Renaud quitta les lieux.
â Sa menace de te faire perdre ton emploi te met dans un état pareil?
Virginie affichait un petit sourire ironique. Renaud était venu directement au Théâtre Outremont en quittant le campus. La jeune femme avait fait peindre les murs de son bureau en blanc cassé. Des photographies, quelques vases contenant des fleurs fraîches pendant la belle saison, donnaient à la pièce une allure très féminine.
â Mais quand as-tu encaissé ta dernière paie de lâUniversité de Montréal? demanda-t-elle, maintenant franchement amusée.
â En décembre.
â Nous sommes fin mai. Si tu consacrais à autre chose toutes les heures qui vont à lâenseignement, tu gagnerais combien de fois ce salaire que tu ne reçois même pas? Trois fois, sans doute!
Incapable de faire face à ses obligations, lâUniversité de Montréal ne versait plus leur rémunération à ses professeurs.
Le gouvernement de la province de Québec avait mis lâétablissement en tutelle deux jours plus tôt pour confier à un comité la mission de le sauver dâune faillite pure et simple.
Cela nécessiterait lâinjection dâune fortune dâargent public.
Au dernier argument, lâavocat ne put sâempêcher de sourire. Au fond, il nâétait venu que pour cela, se faire rassurer.
â Tout de même, tu sais que mon statut de professeur mâapporte des engagements ailleurs. Cela ressemble à du bénévolat pour me procurer une certaine notoriété.
â Câétait vrai il y a douze ou treize ans, mais maintenant, cela ne doit plus te servir à grand-chose. Ta réputation est faite, pour le meilleur et pour le pire.
â Bon, bon, je me confesse: je nâai pas dâautre raison de donner ce cours de droit constitutionnel que le plaisir que jây trouve. Actuellement, juste en salaire tu rapportes beaucoup plus que moi au ménage.
â Jâespère que ta nouvelle misère ne tâamènera pas à réduire mon traitement. Surtout, ne ramène pas ta mine inquiète à la maison. Nadja se préoccupe déjà assez des dangers que la crise fait peser sur nous, sans compter sa crainte de te voir aller faire la guerre en Europe. Affiche ton visage dâhomme dâaffaires prospère, ce que tu es dâailleurs.
Bien sûr, mieux valait ne rien laisser paraître de ses inquiétudes. Ce fut tout à fait rasséréné quâil quitta les lieux quelques minutes plus tard. Autant régler la vie de la princesse pour les huit années à venir: lâinterminable cours classique durait tout ce temps. Et tant quâà faire, assumer les responsabilités sociales qui accompagnaient sa prospérité.
La femme qui dirigeait le couvent Jésus-Marie portait le nom de sÅur Saint-Lucien. Non seulement lâhabitude de donner des patronymes pareils devait-elle faire oublier la personnalité des religieux ou des religieuses, mais encore les choisissait-on le plus ridicule possible. Cette femme de cinq ans sa cadette, qui en 1920 devait être bien jolie, il devait lâappeler mère Saint-Lucien!
â Bien sûr, précisait Renaud, sâil prend lâenvie à ma fille de suivre des cours de musique, je paierai. Mais jâen doute.
Ses premiers essais dans ce domaine ont été très décevants.
Derrière son bureau, la directrice esquissa un sourire qui lui dessina des joues rondes comme des pommes, encadrées par une cornette empesée.
â Je soupçonne quâelle possède dâautres talents. Vous en parlez avec tant de fiertéâ¦
â Ce qui témoigne plus de mon attachement que de ses dons. Mais je ne veux pas inscrire une seule personne à votre couvent. Plutôt deux.
â Elle a une sÅur?
â Non. Jâaimerais payer pour la formation dâune fillette que vous choisirez dans lâune de vos écoles primaires. Je tiens à ce que vous ne désigniez pas une gamine désireuse de devenir religieuse, et si cette jeune personne se décide pour cette vocation au cours de ses études, je cesserai de payer.
Comprenons-nous bien, je veux aider
Weitere Kostenlose Bücher