L'Eté de 1939 avant l'orage
ferait semblant de vous croire, surtout que nous trouvons des Eagle et des Dagle au Royaume-Uni.
Son hôte baissa la voix jusquâà devenir presque inaudible.
â Mais ici aussi, les Juifs ne sont pas toujours les bienvenus.
â Vos quotasâ¦
â Oui. On les laisse entrer au compte-gouttes, comme chez vous. Lâantisémitisme se fait véhément en français, discret en anglais. Nos bienfaiteurs possèdent beaucoup dâargent. Un murmure dans des oreilles dociles leur permet dâempêcher un Israélite de devenir professeur, et les étudiants de cette confession de se multiplier.
â Et les Canadiens français qui prennent leur défense peuvent apparaître comme des indésirablesâ¦
Son interlocuteur lui adressa un demi-sourire, chipota un peu dans son assiette avant de continuer, toujours à voix basse:
â Si jâétais vous, je resterais discret. De mon côté, je ferai savoir quâun constitutionnaliste de talent mais insatisfait se trouve dans lâétablissement voisin. McPherson nous accor-dera la grâce de partir dans un an ou deux. à ce moment, si nous sommes en guerre, les amis des victimes de Herr Hitler seront peut-être devenus très désirables.
â Le mieux pour moi est de demeurer en poste jusque-là . â En effet. Recruter un chômeur serait du plus mauvais effet.
Après cela, Renaud mangea dâun meilleur appétit. Jouir dâune position de repli allégeait sa situation.
â Maman nâeffectuera pas le trajet avec nous?
â Elle nous rejoindra demain après-midi. Elle a un rendez-vous en matinée.
Le premier accroc de Virginie à leur entente survenait dès leur première fin de semaine dans les Laurentides. Plutôt que de prendre place dans la voiture familiale pour se rendre à Sainte-Agathe, elle avait insisté pour remettre son arrivée au lendemain, avec la promesse que cela ne se reproduirait pas.
Renaud ne sâen formalisait pas trop⦠si cela demeurait lâunique exception de la saison.
â Tu sais que dans trois semaines nous allons nous installer là -bas pour lâété, avec Julietta. Je ne voudrais pas te faire manger ma nourriture tous les jours.
â Et avec Georges. Jâespère juste quâil ne se perdra pas dans les bois. Il y a des bêtes.
Lors du retour, le jour où le chalet avait été loué, un grand événement était survenu dans la vie de la fillette: un ours noir, du bas-côté de la route, avait regardé passer lâautomobile où elle avait pris place.
â Je ne pense pas quâil voudra sortir de la maison.
Ce gros matou châtré ne chasserait jamais plus loin que son plat. Tous les mulots et les souris des Laurentides pouvaient dormir tranquilles.
â Mais dâici là , tu devras travailler très fort, insista Renaud, avec les examens qui approchent.
â Je sais bien. En comptant les jours.
Comme tous les vendredis depuis la fin du semestre universitaire, lâavocat était allé chercher sa fille à la sortie de lâécole. En attendant que Julietta ait terminé de se préparer, ils sâétaient arrêtés dans le parc situé entre les rues Bloomfield et Querbes, à un pâté de maisons au sud de la rue Bernard.
Sur un banc, le père et la fille contemplaient un petit étang où sâébattaient des canards. à ce moment de la semaine, les Juifs orthodoxes se pressaient dâeffectuer leurs dernières courses avant le sabbat, engoncés dans des redingotes noires, coiffés dâun chapeau rond à la garniture de vison. Quatre dâentre eux passèrent dans lâallée devant eux.
â Je nâaime pas ces gens.
Renaud regarda sa fille un moment, avant de demander:
â Pourquoi cela? Ils tâont fait quelque chose?
â Ce sont des Israélites. Ils ont tué Jésus.
â Qui tâenseigne des choses pareilles?
â Les religieuses. Câest vrai. à Jérusalem.
Le premier contact des Québécois avec lâantisémitisme venait de là . Un livre comme La Réponse de la race trouvait des esprits déjà bien disposés. Elle avait levé les yeux vers lui, un peu inquiète, sentant quâelle ne susciterait pas son approbation.
â Je sais. Il y a des années de cela, concéda-t-il.
â Mille neuf cent
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