L'Eté de 1939 avant l'orage
entrer?
â Je suis désolée, fit-elle avec un visage qui démentait ses paroles, jâattends un taxi. Le temps quâil arrive, jâaccepte de vous écouter.
Son interlocuteur déglutit, jeta un regard vers les grandes chaises toutes proches sans que son hôtesse pense à lui offrir de sâasseoir, puis se décida à continuer:
â Je veux en fait parler avec vous de votre situation familiale. Ici, en plein air, cela ne fait pas bien discret.
â à moins que lâun de nous deux ne commence à hurler, cela sera assez discret pour moi. En quoi ma situation familiale intéresse-t-elle le vicaire de Saint-Viateur?
â ⦠Vous nâavez quâun seul enfant, je crois. Vous êtes jeune, visiblement en santé. Vous savez que lâÃglise condamne la contraceptionâ¦
â Et vous venez chez moi me parler de cela!
Lâexpression de Virginie traduisait tout le mal quâelle pensait de cette initiative. Son interlocuteur continuait avec son indélicatesse de brute:
â Je remplis mon devoir de pasteur. Utiliser la contraception, ou encore se livrer à des activités contre nature pour empêcher la famille, câest bien sûr mettre en danger la race canadienne-française. Câest surtout agir contre la volonté de Dieu. En ayant recours à lâune ou lâautre de ces pratiques, vous vous méritez la damnation éternelleâ¦
La jeune femme plissa les yeux et découvrit ses dents dans un sourire mauvais. Cet imbécile ensoutané venait de se faire une ennemie tenace.
â Mon cher petit abbé, bien que je considère que ce nâest pas vos affaires, je vous rassurerai tout de même. Mon mari et moi nâutilisons aucun moyen pour empêcher la famille, pour reprendre votre expression. Et le taxi que jâattends me permettra de le rejoindre. Jâespère que nous allons baiser ce soir de la façon la plus naturelle du monde. Remarquez, nous nous livrerons peut-être à des activités contre nature au début, quoiquâà mes yeux, lâêtre le plus contre nature de nous deux, câest vous, compte tenu du célibat dans lequel vous vous êtes engagé. Je me demande bien ce quâil cache de turpitudes.
Mais soyez certain que mes galipettes avec mon mari se termineront par lâépanchement de son sperme dans mon vagin, comme chez tous les animaux et les humains depuis les origines de la vie.
Cette femme le dépassait de toute une tête, car le vicaire se trouvait toujours dans lâescalier, gardait ses yeux verts rivés aux siens. La réponse, très nettement articulée pour quâil nâen perde rien, lâallusion très explicite à la «chose», laissa lâabbé Boies pantois, les joues et le cou empourprés.
â Avez-vous dâautres considérations sur ma vie familiale à partager avec moi, fit-elle après un moment de silence, ou puis-je attendre cette voiture en paix?
â ⦠Je suis heureux dâapprendre que vous respectez les enseignements de lâÃglise quant à la contraception. Tellement de gens limitent le nombre de leurs enfants pour des motifs tout à fait égoïstes, pour permettre à lâépouse de travailler, par exemple. Tout cela pour accumuler des richesses matérielles au détriment du salut éternel.
â Ce sera tout?
â ⦠Ne pensez-vous pas que la charité chrétienne, en cette période de crise économique, devrait vous inciter à abandonner votre emploi afin de procurer du travail à un bon père de famille? Dans la conjoncture actuelle, ils sont des milliers à souffrir du chômage. Certainement, compte tenu de la maison luxueuse où vous demeurez, ce travail nâest pas une nécessité.
Décidément, lâhomme aimait sâexposer à la langue acérée des grandes rousses. Ce devait être sa perversion.
â Mais mon cher vicaire, comme vous placez la question du logement dans la conversation, vous-même habitez le logis le plus majestueux de la paroisse. Ne croyez-vous pas que la charité chrétienne devrait vous amener à quitter le presbytère de Saint-Viateur pour un appartement plus modeste? Vous partagez un immense édifice avec un autre vieux garçon, le curé. Combien de bonnes familles canadiennes-françaises pourraient loger confortablement
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