L'Eté de 1939 avant l'orage
nâai pas été sans remarquer que les gazettes ont eu pour vous quelques mots peu charitables, ces derniers temps.
â Seulement les gazettes qui font régulièrement lâapologie de vos ouvrages, et dans lesquelles vous avez publié abondamment. Je me console en me disant que ces publications nâatteignent quâun tout petit tirage. Jâen conclus que mes idées, assez semblables au fond à ce que lâon retrouve dans La Presse , sont aussi celles dâune large majorité des Canadiens français⦠Mais jây songe justement, vous qui connaissez si bien les feuilles nationalistes, peut-être pouvez-vous me renseigner. Il y a quelques années, LâAction nationale publiait un texte franchement antisémite signé par Jacques Brassier. Je me demande qui se cachait sous ce pseudonyme, le patronyme de lâun des compagnons de Dollard des Ormeaux.
Jây pense tout juste, comme Alonié de Lestres, un autre nom de plume utilisé il y a près de vingt ans. Le connaissez-vous?
â ⦠Quelque chose me dit que vous connaissez le ou les rédacteurs de ces deux travaux. Je mâexcuse de vous abandonner, mais je dois aller lire mon bréviaire.
â Dommage, je vous aurais encore entretenu des écrivains timides, trop craintifs pour sâidentifier, qui trouvent leurs pseudonymes dans le Montréal du dix-septième siècle en butte aux Iroquois, comme celui qui signe Lambert Closse. Son torchon, La Réponse de la race , se veut une réponse à Alonié de Lestres, lâauteur dâun texte appelé LâAppel de la race . Bonsoir, monsieur le Chanoine.
â Bonsoir, Monâ¦, commença la fillette.
Le prêtre avait brusquement tourné les talons, aussi Nadja se tut. Pendant un moment, pendue à la main de son père, elle regarda lâhomme sâéloigner.
â Tu ne trouves pas que son costume ressemble beaucoup à celui des Juifs de tout à lâheure? Même si cela ne mérite pas que tu le détestes, celui-là , tu peux penser que câest un goujat: partir comme cela sans te saluer, sans même faire attention à ton bonsoir. Et maintenant, si nous ne nous pressons pas, Julietta va nous attendre sur le trottoir, assise sur ses chaudrons.
En réalité, tout le monde savait que Lionel Groulx avait publié un roman, LâAppel de la race , sous le pseudonyme dâAlonié de Lestres. Tous avaient conclu quâil était aussi responsable de lâarticle antisémite de LâAction nationale intitulé «Pour quâon vive. Politiciens et Juifs», signé par Jacques Brassier. Le chanoine avait pondu ces textes, lâavocat en était sûr. Et lâauteur de La Réponse de la race lui avait dédicacé son livre en affirmant répondre à LâAppel ⦠Une jolie parenté intellectuelle, tout de même.
Même si le représentant de France-Film ne sâétait pas attardé inutilement dans les locaux du Théâtre Outremont, Virginie devait presser le pas afin de passer chez elle prendre sa valise, et de là se rendre à la gare. Une minute suffit pour aller la chercher à lâétage, une autre encore pour téléphoner afin de demander quâun taxi vienne la cueillir.
Le beau temps la convainquit dâattendre sur le perron, assise sur lâune des grandes chaises de bois. Elle en était à verrouiller la porte en sortant quand un bruit la fit se retourner. Un jeune prêtre tout souriant se tenait sur la dernière des trois marches donnant accès à la maison.
â Madame Daigle, comme je suis heureux de vous rencontrer enfin. Je suis venu à plusieurs reprises, sans jamais vous trouver au gîte.
â Voyez-vous, je travaille. Cela mâempêche de recevoir les personnes se présentant à lâimproviste.
La jolie femme avait spontanément adapté son ton à celui, chargé de reproche, de lâecclésiastique. Ce dernier, convaincu dâêtre lâinterprète de la volonté de Dieu sur terre, nâallait certainement pas se troubler pour si peu.
â Justement, câest un peu de votre travail que je voulais vous parler.
Comme aucune réponse ne venait, le jeune abbé dut enchaîner:
â Je suis Armand Boies, vicaire de la paroisse Saint-Viateur dâOutremont. Votre paroisse⦠Vous mâinvitez Ã
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