L'Eté de 1939 avant l'orage

loin, dans la haie.
    â€” Je dois d’abord dire à mon père où je serai.
    â€” Dans ce cas, autant passer par-devant. Je t’ouvrirai.
    Quelques minutes plus tard, Renaud acceptait avec joie que sa fille aille chez les voisins. Avec une camarade de son âge, Nadja ne compterait pas que sur lui pour la tenir occupée…

    â€” Tu veux dire que l’espion de Bronfman a pu te joindre ici?Virginie venait tout juste de mettre les pieds dans le chalet du Chemin-du-Tour-du-Lac. Renaud lui tendait une lettre arrivée la veille: «Si vous voulez assister à une petite manifestation fasciste, Adrien Arcand fera un discours à Saint-Faustin le premier juillet. Je vous rejoindrai devant l’hôtel Laurentien à dix-huit heures. N’oubliez pas de mettre vos plus beaux habits.»
    â€” Comme j’avais laissé mes coordonnées à son patron, qui est aussi le mien, je te le rappelle, la chose s’explique facilement.
    â€” Tu veux te rendre là-bas?
    â€” Pourquoi pas? Cela me permettra peut-être d’en apprendre un peu plus.
    Sa femme lui adressa un regard sceptique, puis avec un ton sentencieux lui donna un avertissement:
    â€” Ne va pas attraper un méchant coup. Et puis ces beaux habits, c’est le contenu du sac qui sent mauvais?
    â€” Il paraît qu’affublé comme un avocat, je ne passerais pas inaperçu.
    â€” Tu sembles bien entiché de ton travail d’espion.
    Sans doute avait-elle raison. Le petit aperçu des talents d’orateur d’Adrien Arcand, dans la taverne montréalaise, lui donnait envie d’en voir un peu plus. Tous les deux se trouvaient sur la grande galerie faisant face au lac, un verre de thé glacé à portée de la main.
    â€” Tu as rencontré la nouvelle amie de notre fille? demanda-t-elle, curieuse.
    â€” Fran? Bien sûr. Elles passent sans cesse d’une maison à l’autre. Une gamine gentille, plutôt timide.
    â€” Et ses parents?
    â€” Bielfeld possède un commerce de vêtements rue Sainte-Catherine. Tu vois, eux vivent une situation inverse à la nôtre.
    Monsieur en ville, madame à la campagne.
    â€” Mais tu sais bien que nous ne formons pas un couple comme les autres…
    Un bruit de porte claquée leur parvint du devant de la maison, puis Nadja fit bientôt irruption sur la galerie, tirant par la main sa camarade.
    â€” Maman, je te présente mon amie Fran…
    â€” Bonjour, madame.
    â€” Bonjour. Viens te joindre à nous un moment. Nadja, veux-tu aller chercher quelque chose à boire pour vous deux?
    La rousse se précipita alors que la brune s’asseyait du bout des fesses sur une chaise Adirondack. Virginie fit tout son possible pour la mettre à l’aise. Au moment où Nadja apportait deux Coca-Cola, Fran répondait de bonne grâce aux questions en souriant. Encore quelques minutes et le naturel lui reviendrait…

    Nous réclamons une enquête royale
    Ã€ propos des activités du Parti national-socialiste d’Adrien Arcand
    La Nation , 11 mai 1939.

    La louche épopée du cabotin Arcand
    Grand Goglu, Führer, Pontifex Maximus du Parti national-socialiste canadien
    La Nation , 19 mai 1939.

    La propagande naziste d’Arcand coûte très cher
    Aucun des chefs nationalistes du Québec, Paul Gouin, Philippe Hamel, par exemple, ne pourrait se la permettre.
    Où Arcand prend-il ses fonds, les sommes considérables que lui coûte chaque assemblée? Ses plus intimes partisans n’ont jamais pu le savoir
    La Nation , 19 mai 1939.

    Les insultes de la presse de Londres prouvent enfin le rôle louche d’Arcand et la complicité du parti conservateur
    La Nation , 1 er juin 1939.
    Ã€ l’heure dite, sans doute au plus grand étonnement des vacanciers qui le reconnaissaient malgré son accoutrement de prolétaire, Renaud faisait le pied de grue devant l’hôtel Laurentien. Après quelques minutes, la Ford tourna le coin de la rue la plus proche. Au moment où il allait monter, son allure lui valut un commentaire:
    â€” Excellent, le ruban sur la monture des lunettes.
    Sans tarder, Alfred Côté démarra afin de se diriger vers Saint-Faustin, à une demi-heure environ de Sainte-Agathe.
    Ã€ mi-chemin, l’informateur s’arrêta à un petit restaurant érigé en bordure de la route. Les deux hommes mangèrent un hamburger