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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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ses malles. À neuf heures, après un petit-déjeuner copieux, toute la maisonnée montait dans la Packard pour prendre la route de Sainte-Agathe. Les fins de semaine précédentes représentaient en quelque sorte un entraînement, mais cette fois les choses devenaient sérieuses: lui, Nadja et Julietta ne reviendraient vraiment à Montréal qu’au début de septembre. Virginie, quant à elle, partagerait son temps entre les deux domiciles. D’un côté, Émile Chiasson avait promis à sa patronne de lui tenir compagnie quand elle s’ennuierait.
    De l’autre, discrètement, l’avocat était allé rencontrer le gros assistant pour lui demander expressément de s’assurer que tout se passait bien pour sa femme. Bien sûr, rien ne s’opposait à ce qu’il confie son épouse à un colosse homosexuel…

    Dans le village des Laurentides, la vie de la petite famille finirait par obéir à une nouvelle routine. Les balades à cheval se dérouleraient les lundis et vendredis. Pour le reste, le père se plongerait aussi souvent que possible dans d’arides livres de droit, pour n’en sortir que pour s’occuper de ses nombreux investissements. Bien sûr, cela quand il ne parcourrait pas la campagne à pied ou en voiture avec sa fille, un appareil photo Leica accroché au cou. Ou qu’il ne se briserait pas les mains sur des rames pour mener sa progéniture dans tous les coins du lac des Sables. Lorsque cette étendue d’eau ne recèlerait plus de secrets pour eux, les explorateurs jetteraient leur dévolu sur celles des villages voisins. De retour de ces expéditions, le père et la fille s’occuperaient de développer les clichés pour faire des agrandissements des meilleurs. En fait, l’avocat ne travaillerait pas tellement…
    Quant à Nadja, ses expéditions seraient interrompues par de longs moments où, étendue dans un grand hamac accroché à deux arbres près de la rive du lac, son chat affalé en travers du ventre, elle ferait alterner les rêveries et la lecture de tous les ouvrages qui auraient passé la censure parentale. Après une heure avec les pauvres victimes du Vésuve du roman Les Derniers Jours de Pompéi , le gros livre posé contre son flanc, Nadja tira sur une corde pour imprimer un mouvement de balancier à son hamac. Encore un instant, puis ce serait la sieste… Son projet fut suspendu par une mélodie venue de l’autre côté de la haie.
    Sans faire de bruit, elle s’approcha du terrain du chalet voisin. Un espace entre les cèdres lui permit d’apercevoir une fillette à quelques pieds, un violon coincé sous le menton.
    Pendant un long moment, elle demeura là à écouter une composition de Mendelssohn, convenablement interprétée compte tenu de l’âge de la musicienne. À la fin de la pièce, elle dit doucement:
    â€” C’est très beau, et tu joues très bien.
    De l’autre côté de la haie, la gamine sursauta, chercha l’ouverture dans les arbustes afin de voir qui lui parlait. Ce ne fut que lorsqu’elle eut localisé la tête rousse qu’elle répondit:
    â€” Merci, c’est gentil.
    Son accent trahissait son origine européenne. Ses cheveux noirs attachés sur la nuque lui donnaient un air plutôt sérieux, un peu plus vieux que ses douze ans.
    â€” Mais je ne joue pas très bien. Je devrais y consacrer des heures pour devenir vraiment bonne.
    â€” C’est très bien, je t’assure. Enfin, beaucoup mieux que les sons que je suis arrivée à faire sortir d’un instrument de musique. Tellement que je me suis découragée et j’ai arrêté, ajouta-t-elle en riant. Je me nomme Nadja Daigle.
    â€” C’est un prénom russe.
    â€” Cela se peut bien. Quand ma mère était enceinte, elle se passionnait pour le roman Nadja , d’André Breton. J’ai eu de la chance qu’elle ne lise pas Frankenstein …
    La petite voisine rigola franchement, puis confia:
    â€” Je m’appelle Frania Bielfeld. Fran.
    Elle jeta un œil sur le chalet de ses parents, revint à la fillette derrière la haie, marqua à peine une hésitation avant de déclarer:
    â€” Tu souhaites venir prendre une limonade?
    â€” … Oui, oui, je veux bien.
    â€” Il y a un trou un peu plus

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