L'Eté de 1939 avant l'orage
droite La Nation , acceptait des subsides de lâAllemagne nazie. Depuis, celui-ci se défendait en attaquant le Parti de lâUnité nationale et son chef, quâil présentait invariablement comme le «pontifesse». Au fond, le scribouillard de Québec tentait de se disculper des accusations portées contre lui en chargeant à son tour le journaliste de Montréal.
â Il touche un salaire à titre de chef du parti, un autre en tant que rédacteur du journal Le Combat national . Quelques autres personnes gagnent aussi leur vie grâce au parti.
â Lâargent vient de la vente du périodique et des brochures antisémites?
â Non, ces opérations se révèlent déficitaires. Je ne prends pas trop au sérieux les affirmations relatives à un tirage de quatre-vingt mille copies. Puis vous savez, les marchands ne paient pas bien cher pour les publicités où ils affirment ne recevoir que des Aryens dans leur commerce.
â Les cotisations des membres, alors?
â Ceux-ci sont pauvres et peu nombreux.
Renaud se lassait de devoir soutirer chaque information de son compagnon. Sa voix trahit une certaine impatience quand il demanda:
â Alors dites-moi dâoù provient lâargent!
â ⦠La réponse nâest pas si simple. Je connais un médecin qui contribue généreusement. Vous allez dâailleurs voir cet homme ce soir. Mais puise-t-il vraiment dans sa poche, ou ses largesses viennent-elles de mystérieux donateurs? Je ne le sais pas.
â Certains prétendent que le Parti conservateur alimente les coffres dâArcand.
â Jâai entendu aussi cette rumeur, et même le chiffre de 50 000 $. Mais pourquoi ferait-il cela? Le Parti de lâUnité nationale ne prend certainement pas ses militants chez les libéraux. Il me semblerait autrement plus productif pour les conservateurs de supporter lâUnion nationale.
â Ce que le Parti conservateur réalise assurément, convint lâavocat.
Comme le Parti conservateur du Canada recevait peu de sympathie au Québec, la meilleure stratégie qui sâoffrait à lui était sans doute de contribuer financièrement à toutes les entreprises susceptibles de gruger les appuis du Parti libéral.
Cela allait des mouvements nationalistes jusquâà lâorganisation dirigée par Maurice Duplessis. Toutefois, de là à soutenir les nazis, il y avait un gouffre.
â Un financement venu dâAllemagne, alors? insista Renaud.
â Cette rumeur-là aussi, je lâai entendue. Je ne peux cependant pas vous dire si elle est fondée.
En fait, cet informateur-là ne semblait pas posséder beaucoup dâinformations! Sans doute vaudrait-il la peine dâaborder le sujet avec Samuel Bronfman: cet homme devait pouvoir suivre le trajet de lâargent mieux que quiconque.
Vers dix-neuf heures trente, Alfred Côté stationnait sa voiture dans une petite rue discrète en périphérie du village.
Déjà vêtu de son uniforme noir, il se dirigea dâun pas rapide vers la salle paroissiale. Renaud quant à lui prendrait son temps et arriverait tout juste au moment où commencerait le premier discours. Comme cela, il risquait peu de se trahir par des conversations avec dâautres spectateurs.
Alors que Nadja et Fran sâamusaient à se faire peur dans une petite embarcation à peu de distance de la rive du lac, Virginie se laissait bercer dans le hamac. Comme sa fille quelques jours plus tôt, elle perçut un bruit derrière la haie, chercha lâouverture dans les buissons jusquâà découvrir sa voisine assise sur une chaise Adirondack, un livre à la main.
â Madame Bielfeld, je présume, dit-elle assez fort pour être entendue.
Dans la cour à côté, une femme pas très grande, les cheveux bruns coupés assez courts comme le voulait la mode, la mi-trentaine, sursauta au son de sa voix, puis se leva pour sâavancer vers elle.
â Je mâexcuse de vous déranger. Je voulais juste me présenter. Virginie Daigle, la mère de Nadja.
Sur ces mots, elle tendit la main au-dessus de la haie.
â Myra Bielfeld, la mère de Frania.
â Je crois que ma fille vous a un peu envahie ces derniers jours. Nâhésitez pas à lui dire de revenir à la maison si elle exagère.
â Mais non, ne vous inquiétez
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