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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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oscillant entre la fascination et la stupéfaction. Lucas secoua la tête et se releva courageusement. Il se remit en garde, son épée dans la main gauche, son bras droit maintenant flasque pendant à ses côtés, et boitilla piteusement pendant que je me mettais à tourner autour de lui comme un fauve autour de sa proie blessée.
    —    Croupion mignon, joli minois
    Je feintai sur sa droite, sachant qu’il protégerait son côté blessé et, lorsqu’il eut déplacé son arme, je frappai d’un geste sec, lui ouvrant l’autre épaule. Lucas recula en titubant. Des gémissements piteux s’échappèrent de sa gorge et, brisé, il se mit à pleurer à chaudes larmes.
    —    Pitié. Je demanderai pardon à sire Guy, geignit-il.
    —    Il est trop tard pour les regrets.
    —    Moi qui suis si loin de toi ma mie
    Je le rejoignis et enfonçai mon arme dans son ventre. Lucas ouvrit la bouche, une expression d’incrédulité sur le visage, et tomba à genoux. Je la retirai et la soulevai au-dessus de ma tête.
    —    Envie de petit trou me saisit
    J’abattis ma lame sur sa nuque. La tête se détacha net et roula dans la poussière pendant que le corps tombait sur le côté.
    —    Voilà. Juste avant le dernier vers, dis-je, à peine essoufflé, en bottant négligemment le chef détaché vers le côté.
    —    Qu’il serait doux, le petit seigneur dessous, compléta Guy d’une voix tremblante.
    Debout près du cadavre, je fis un tour complet sur moi-même et, avec défiance, dévisageai un à un les hommes de Pierrepont.
    —    Quelqu’un d’autre a-t-il envie de railler sire Guy de Montfort ? m’exclamai-je d’une voix ferme.
    Plusieurs baissèrent les yeux. D’autres m’adressèrent ce regard mêlé de crainte et d’admiration dont j’avais si souvent été l’objet. Aucun ne crut bon de tenter de venger celui qui gisait, raccourci, sur le sol.
    Je rengainai mon arme et fis signe au jeune Montfort de me rejoindre.
    —    Je vous présente sire Guy de Montfort ! m’écriai-je d’une voix forte. Et je suis Gontier, son garde du corps. Ayez-en souvenir la prochaine fois que l’envie vous prendra de lui manquer de respect.
    Ma déclaration fut accueillie par des assentiments gênés. Guy et moi retournâmes à nos montures. Il rattacha son luth à sa selle et se remit à cheval. J’en fis autant. Sans dire un mot, nous reprîmes notre route.
    —    Allez, vous autres, gronda Pierrepont derrière nous. Qu’est-ce que vous attendez ?
    —    Et Lucas ? fit un soldat.
    —    Qu’il pourrisse là où il est.
    Le convoi reprit son chemin dans un silence de tombeau. Seul Pierrepont le rompit lorsqu’il me dépassa pour aller reprendre sa place à l’avant.
    —    Fort belle démonstration, Gontier, dit-il sans même me regarder, avant de passer son chemin.
    Bertrand de Montbard m’avait maintes fois répété que je devais connaître mon adversaire mieux que moi-même, et il avait eu raison. Le jeune Montfort était un fot-en-cul, cela était clair. Tout en lui était efféminé, délicat, vulnérable. Il avait l’âme d’un poète, pas d’un guerrier. Perdu au milieu de soldats, en butte aux railleries, il était désespérément seul. Sans doute avait-il vécu toute sa vie dans l’humiliation et l’isolement. Son père, en tout cas, n’était pas homme à tolérer aisément un être de sa sorte et il avait dû lui faire sentir qu’il était une grande déception.
    J’avais compté sur le fait que le premier qui lui démontrerait un peu d’estime et de respect gagnerait sa confiance et je constatai vite que mon stratagème avait fonctionné au-delà de mes espérances.
    Pour la première fois de son existence, peut-être, le jeune Montfort avait l’impression d’avoir à ses côtés quelqu’un qui le respectait. Pour un enfant délaissé par son père, un protecteur était chose précieuse. Son attitude s’en ressentit. Il se tenait toujours le dos très droit dans sa selle, mais je notai maintenant une certaine souplesse dans ses épaules et dans sa nuque. Au lieu de toujours regarder fixement devant lui pour éviter les yeux rieurs, il admirait le paysage de temps à autre. Surtout, on le laissait désormais en paix. Autour de nous, en effet, un espace s’était formé, les autres m’accordant un respect dont mon compagnon profitait. Cet isolement relatif faisait mon affaire.
    Le jeune homme était réservé et il fallut plusieurs heures

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