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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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de route avant qu’il ne m’adresse la parole.
    —    Merci, me dit-il soudain pour la seconde fois, tout en regardant droit devant, comme si sa fierté allait être écorchée s’il devait me faire face.
    —    Ce n’est rien, sire, rétorquai-je.
    Ce fut là toute l’étendue de notre première conversation. Le reste de la journée se passa dans un silence inconfortable, mais prometteur.
    Lorsque nous installâmes notre campement pour la nuit, je fis un feu pour nous seuls, à l’écart des autres. Puis je me rendis chercher la ration de sire Guy. Ce soir-là, les soldats n’ayant croisé ni gibier ni bétail à piller, nous dûmes nous contenter de pain rassis et de lard. Je ramassai en même temps une outre de vin à moitié pleine et deux gobelets d’étain. Quand je lui tendis l’écuelle, il m’étonna en m’adressant un sourire timide. Puis il s’en empara pour se mettre à manger avec un appétit inédit qui me réjouit. Je lui servis du vin puis l’accompagnai en silence, sachant que je ne devais pas le pousser. Ce garçon avait été enfermé dans une épaisse coquille pendant très longtemps et je ne l’avais qu’entrouverte. À la moindre maladresse de ma part, elle se refermerait sans qu’il me révèle ce qu’il savait. S’il désirait parler, je le saurais.
    Une fois rassasié, il posa son écuelle sur le sol près de lui, mit délicatement les doigts sur ses lèvres pour étouffer un rot, telle une dame de la haute noblesse, s’adossa à la selle de son cheval et me tendit son gobelet, que je remplis à ras bord en bon serviteur que j’étais, tout en prenant soin de modérer ma propre consommation. Je tablais sur le fait que le damoiseau supportait mal l’alcool.
    Tout en buvant, il se mit à jouer pensivement dans le feu avec une branche. Ce manège dura une bonne demi-heure, pendant laquelle je lui redonnai du vin à deux reprises.
    —    Pourquoi m’as-tu défendu ainsi ? demanda-t-il soudain d’une voix un peu empâtée.
    Je haussai les épaules et soupirai. Le moment attendu était arrivé et je ne devais pas commettre d’erreur.
    —    Oh, pour une foule de raisons, sire, répondis-je. D’une part, parce que vous êtes le fils de Simon de Montfort et d’Alice de Montmorency. Ces petits mécréants doivent apprendre à respecter des noms d’aussi haute noblesse et à tenir la place qui est la leur. D’autre part, parce que je prends au sérieux les tâches qu’on me confie, surtout lorsqu’elles proviennent de quelqu’un de la trempe d’Alain de Pierrepont qui, ce me semble, n’hésiterait pas à me faire étriper si j’y manquais.
    L’image de Pernelle, violentée par les brigands d’Onfroi, puis par cette chiure de Raynal, me revint en tête, et je laissai échapper un long soupir dont j’étais le seul à connaître le sens.
    —    Et en plus, j’ai une faiblesse : je déteste voir des gens se faire tourmenter sans raison.
    —    Sans raison, dis-tu ? ricana-t-il avec cynisme. Au cas où tu n’aurais pas remarqué, je ne suis qu’un vulgaire inverti. Un sodomite.
    Malgré moi, j’éprouvai presque de la pitié pour le pauvre garçon. Il n’était pas plus responsable que moi de ce qu’il était. Et comme moi, il en portait le fardeau.
    —    Vous n’arriveriez pas à le cacher même si vous le vouliez, sire. Et après ? continuai-je avec un peu plus de sincérité. Dieu vous a fait comme vous êtes, comme chacun de nous, et vous n’y pouvez rien. Si vous éprouvez l’envie de fourrer votre verge dans les fondements d’autrui, grand bien vous fasse. Cela ne regarde que vous - et celui qui reçoit, évidemment.
    Cette fois, Guy s’esclaffa de bon cœur.
    —    Dieu veuille que les gens soient aussi tolérants que toi ! dit-il.
    Il avala une gorgée de vin et secoua la tête avec amusement.
    —    En tout cas, jamais je n’aurais cru apprécier un jour cette maudite chanson avec laquelle on me harcèle depuis notre départ ! Et le pire, c’est que ceux qui la chantaient ne dédaignent pas se satisfaire sur un garçon de temps à autre. Je les ai vus de mes propres yeux.
    —    Les soldats sont ce qu’ils sont, eux aussi, et la chair est faible. À défaut de putains à payer ou de filles à violer, ils prennent les orifices qui leur tombent sous la main.
    —    Qui sinepeccato est vestrum, primus in illam lapidem mittat 5 , murmura-t-il, amer.
    Il tendit son gobelet et je le remplis. Il en vida la

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