L'Etoffe du Juste
m’approchai et tendis l’oreille. Les voix traversaient la cloison de tissu.
— Sire Alain ! s’écria un des soldats. Sire Alain !
— Qu’est-ce qui se passe, sacredieu ? grommela Pierrepont qui, de toute évidence, s’était fait tirer du sommeil.
— C’est le prisonnier, sire.
— Quoi, le prisonnier ? Vous ne l’avez tout de même pas malementé au point de me le gâcher ?
— Non, sire. Il. il a disparu.
Je souris de satisfaction en apprenant qu’Ugolin n’avait pas traîné. Jaume était libre. J’imaginais le faciès de Pierrepont, qui n’était pas homme à tolérer l’erreur et la contradiction.
— Disparu ? explosa-t-il. Comment est-ce possible ? Il était gardé par trois hommes ! Explique-toi, bougre, avant que je te tranche les génitoires et que je te les fourre dans le croupion !
— Il. il était bien attaché à un arbre et. bâillonné et. gardé, sire Alain, comme vous. comme vous. vous l’aviez exigé, balbutia le soldat terrifié.
— Alors ? Cesse de hoqueter comme un vieillard gâteux et parle, que diable !
J’entendis le soldat inspirer pour se reprendre avant de poursuivre.
— Quand je suis arrivé avec Béri et Huguon pour relever les autres, voilà quelques minutes, nous les avons trouvés morts, sire, raconta-t-il plus calmement. Tous autant qu’ils étaient. La gorge ouverte d’une oreille à l’autre, comme des porcs à l’abattoir. Et le prisonnier n’était plus là. On avait tranché ses liens.
— Putain de Dieu ! Fendace de Marie ! Tétins de la Vierge !
Impressionné par le peu de respect que ce chrétien montrait
pour la mère du Christ, qu’il était pourtant censé révérer, j’entendis le bruit distinct d’une claque et compris que le messager venait de payer pour ce qu’il avait à rapporter. Je m’éloignai discrètement au son des hurlements de colère et des coups. Je pouvais presque voir la tête que ferait Simon de Montfort lorsque Pierrepont lui annoncerait que celui qui avait tenté d’assassiner son fils s’était échappé sans qu’on ait pu lui faire avouer les raisons de son crime.
Je retournai auprès de sire Guy, qui s’était réveillé, et lui résumai la situation. Il porta une main délicate à ses lèvres, pâlit distinctement, et une lueur d’inquiétude lui traversa les yeux. L’espace d’un instant, il eut l’air de la femmelette qu’il était.
— Seigneur Dieu, murmura-t-il en se signant avec ferveur. Il est libre comme l’air, alors ?
— Ne craignez rien, sire. M’est avis qu’il a eu sa leçon et qu’il est déjà loin d’ici.
— Tu crois ? Vraiment ?
— J’en suis certain. Et je veillerai sur vous. S’il se présente à nouveau, je ne l’épargnerai pas, cette fois. Je lui ferai subir le même traitement qu’à votre chanteur, je vous en donne ma parole.
Un peu rassuré, il sourit timidement. Une heure plus tard, nous étions à cheval. Je brûlais d’envie de rapporter à Pernelle et à Ugolin tout ce que j’avais appris, et aussi de voir dans quel état se trouvait Jaume, mais, pour ce faire, j’avais besoin d’un prétexte. Je tirais un certain réconfort à l’idée que nous étions dorénavant quatre à suivre la voie de la Vérité.
Je notai que le jeune seigneur promenait sans cesse son regard de tous les côtés, aux aguets. Malgré mes mots rassurants, et même s’il essayait de ne pas le laisser paraître, il était transi de peur à l’idée que Jaume surgisse de nulle part pour l’égorger. Le jeune seigneur n’était pas un guerrier et, manifestement, le courage n’était pas sa qualité première. Je pouvais comprendre que son père ne le tienne pas en haute estime. Il n’était qu’un inoffensif poète, un trouvère, un troubadour. Un défaut impardonnable pour un Montfort.
— Croyez-m’en, sire, lui redis-je, il ne reviendra pas. Cessez de faire cette tête d’enterrement.
— J’aimerais en être aussi certain que toi.
— Avez-vous la moindre idée de qui était cet homme ? m’enquis-je, en faisant semblant de ne pas connaître la réponse.
— Non.
— Votre père.
— Quoi, mon père, demanda-t-il sèchement. Il n’a tout de même pas commandé mon assassinat !
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, sire. Mais il y a certainement autant de gens qui souhaitent sa mort qu’il y a d’habitants dans le Sud. Il
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