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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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   Allons, beau damoiseau, insista l’autre. Nous aimons tous tant te regarder jouer de ton petit instrument.
    —    Et tu pourrais rouler des hanches en chantant ! ajouta un autre.
    Cette fois, les rires furent francs et gras.
    —    Je n’ai pas faim, finit par laisser tomber Montfort d’une voix renfrognée, en regardant fixement le sol.
    Je tendis ma main valide et acceptai l’écuelle pour lui tout en adressant un regard noir au soldat. Pressentant que ce serait mieux pour sa santé, ce dernier cessa de rire, déglutit et s’en retourna au son des ricanements. Je tendis la nourriture à mon compagnon de voyage. Je n’avais pas besoin de lumière pour savoir que son visage était empourpré de honte. La façon dont il baissait la tête suffisait amplement. Je n’éprouvais aucune pitié pour ce petit être efféminé sorti tout droit des génitoires de Simon de Montfort. Son père devait le mépriser avec la même passion qu’il mettait à massacrer les cathares. Mais pour parvenir à mes fins, je devais faire semblant.
    —    Allons, ne faites pas attention à eux et mangez, sire Guy. Rien ne sert de vous laisser mourir de faim.
    —    Vraiment ? fit-il en l’acceptant. Il est pourtant des moments où la mort me semble bien enviable.
    Je le dévisageai, mais il n’ajouta rien, se contentant de mordre dans la viande sans appétit. Je me levai et allai me servir à mon tour, puis revins le trouver.
    —    Merci, dit-il soudain.
    —    Pourquoi ?
    —    Tu m’as sauvé la vie.
    —    Je n’ai fait que mon devoir.
    En retrait, un des soldats entama une chanson d’une voix de fausset, ce qui fit s’esclaffer les autres. Le jeune Montfort se crispa, ferma les yeux et secoua légèrement la tête, blessé. Je compris soudain que je tenais le moyen de gagner sa confiance.
    Le lendemain, quelqu’un mourrait.
    Le jour suivant, les provocations reprirent, comme je l’avais espéré. Nous chevauchions depuis deux heures à la tête du convoi, un peu derrière Pierrepont et quelques-uns de ses hommes. C’est de là que monta à nouveau la voix de fausset et sa chansonnette, dont je pus cette fois percevoir les paroles.
    Quand sire Guy je vois Croupion mignon, joli minois Moi qui suis si loin de toi ma mie Envie de petit trou me saisit Qu’il serait doux, le petit seigneur dessous
    Je tirai les rênes de Sauvage et l’immobilisai. Sans dire un mot, je descendis de selle, me dirigeai vers la monture du jeune Montfort, détachai son luth et le lui tendis.
    —    Faites ce que je vous dis, sire.
    —    Que vas-tu faire ? s’inquiéta-t-il.
    —    Vous verrez bien.
    Il prit l’instrument sans comprendre où je voulais en venir, ce que j’interprétai avec satisfaction comme une première marque de confiance. Puis je me dirigeai vers le chansonnier improvisé et empoignai les rênes de son cheval. Autour de nous, les autres s’arrêtèrent, reniflant sans doute l’odeur du sang.
    —    Quoi ? lança-t-il. Tu n’apprécies pas mon petit air ?
    —    Descends, ordonnai-je calmement en le regardant droit dans les yeux.
    Le soldat haussa les épaules d’un air insouciant et obtempéra. Il se planta près de moi avec défiance, sans doute pour ne pas perdre la face devant les autres, qui s’amusaient fort de la situation.
    —    Bon, me voilà descendu, ricana-t-il. Et maintenant ?
    De taille moyenne, il avait une face de furet aux petits yeux noirs et fuyants et au nez long. Il me fut aussitôt antipathique, ce qui me facilitait d’autant la tâche. Sans prévenir, je lui abattis le revers de ma main droite sur la joue. Avec satisfaction, je sentis la peau s’écraser sous mes jointures et se fendre sous l’œil. L’homme vacilla sous le choc, mais parvint à rester debout et porta la main à sa blessure. Incrédule, il regarda le sang qui la mouillait.
    —    Tu as perdu la tête, ou quoi ? s’écria-t-il, outré.
    —    Pas du tout, je vais t’apprendre qu’on ne turlupine pas impunément un noble, mécréant.
    —    Allons donc, ce n’est qu’une petite femmelette ! Tu ne vas pas en faire un drame !
    Je fis un pas vif vers lui et, avant qu’il n’ait pu réagir, j’empoignai à pleine main sa virilité, puis serrai. Il blêmit distinctement.
    —    Insolent, grognai-je, les dents serrées. Tu parles du seigneur Guy de Montfort, fils de sire Simon, chef des croisés.
    Je serrai un peu plus, jusqu’à ce que sa bouche

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