L'Etoffe du Juste

moitié et laissa échapper un long soupir de contentement.
    —    Maintenant que les soldats de Pierrepont tiennent leur place, le reste du voyage risque de vous paraître moins long.
    —    C’est vrai, mais il me tarde quand même d’être arrivé.
    —    Je présume qu’une fois à Gisors vous poursuivrez jusqu’à votre domaine anglais ? demandai-je, l’air de rien.
    —    Non, je dois repartir aussitôt vers Carcassonne.
    —    Pierrepont vous escortera jusque là ?
    —    Lui ? M’escorter ? Il ne s’abaisserait jamais à me servir ! se récria Guy. Si je suis en sa compagnie, c’est par mesure d’économie, rien de plus. Il devait repartir vers le Nord de toute façon, alors mon père m’a donné une petite garde de quatre hommes et un ordre écrit de me laisser me joindre à lui. Lorsque Pierrepont l’a lu, il est devenu pourpre de colère. Mais il n’avait pas le choix. Depuis, j’ai le plaisir de sa compagnie.
    Il but et ricana amèrement.
    —    Même mes hommes ont eu plus de chance que moi. Ils ont filé à la première occasion.
    Je m’empêchai de sourire en me rappelant les circonstances dans lesquelles Ugolin et moi avions occis ses soldats. Puis je lui adressai un regard qui le poussa à continuer.
    —    En vérité, je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle je fais ce maudit voyage. Ma mère, mon frère Amaury et moi étions à Carcassonne. Quand mon père est revenu de Castelnaudary, de fort méchante humeur après sa demi-victoire, il m’a annoncé que j’accompagnerais les troupes du sieur de Pierrepont vers le Nord trois jours plus tard.
    —    Et une fois à Gisors ?
    —    On doit me contacter pour me confier quelque chose de très important, répondit-il en haussant les épaules.
    Je tournai la tête de l’autre côté pour cacher la tension qui se voyait sans doute sur mon visage.
    —    Et ensuite ?
    —    J’ai ordre de retourner sans délai dans le Sud pour remettre cet objet en mains propres à mon père.
    Guy ramassa sa couverture, s’y enroula et se coucha sur le côté en me tournant le dos, m’indiquant que la conversation était terminée. Je fis de même, utilisant ma selle comme oreiller. Mais je ne trouvai pas le sommeil avant plusieurs heures. J’aurais voulu tenir dans ma main le sceau du Cancellarius Maximus pour me rassurer, mais je ne l’avais pas. L’anneau tressé par Cécile fit l’affaire et je finis par m’endormir en le caressant du bout du doigt.

Chapitre 10 Incertitude
    Je repassai ce que je savais. Simon de Montfort avait dépêché son fils vers Gisors avec mission d’y prendre une chose précieuse et de la lui rapporter sans délai. Quoi qu’en pense Guy, il avait été mis sous bonne escorte, Alain de Pierrepont et ses hommes étant compétents et redoutables. Cela se produisait alors que je me rendais moi-même à Gisors, là où se trouvait la seconde part de la Vérité. La seule explication était que Montfort avait retrouvé le chemin de la Vérité, mais je ne pouvais imaginer comment. La mendiante était le Cancellarius Maximus et ne devait partager le secret qu’avec celui des deux Magister qu’elle désignerait comme le Lucifer. J’avais été celui-là et elle avait expiré aussitôt après.
    Il ne semblait toutefois pas avoir placé son fils dans la confidence et Guy n’avait sans doute aucune idée de mon identité. Cet avantage, j’en tirerais le plus grand profit possible. Car le jeune sire avait beau paraître innocent et avoir des airs de chien battu, le sang corrompu des Montfort coulait dans ses veines et cela suffisait amplement à me convaincre de rester méfiant. S’il savait où trouver la seconde part de la Vérité, il m’y conduirait. J’avais tout à gagner et rien à perdre.
    Le lendemain, dès l’aube, une agitation inhabituelle me tira de mon sommeil. Pour la première fois depuis longtemps, le jour m’apporta une heureuse nouvelle. Dès que je vis deux soldats accourir en direction de la tente de Pierrepont, l’air agité, je sus que quelque chose se passait. Mine de rien, je me levai, laissant là le jeune Montfort qui dormait encore, et m’approchai pendant qu’ils s’expliquaient avec force gestes à l’homme qui montait la garde. Celui-ci finit par les laisser entrer. Je contournai la tente et me dirigeai vers un bosquet, non loin de là, l’air d’aller soulager ma vessie. Une fois hors de vue du garde, je fis demi-tour,