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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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il lui a déclaré d’une voix forte qu’il n’avait plus besoin de lui, qu’il connaissait tout ce qu’il lui fallait savoir. Puis il s’est mis à le rosser de coups de poing. Même cela n’a pas suffi à le calmer. Quand le souffle lui a manqué, il a tiré son épée et s’est amusé à le débiter comme un quartier de viande. Lorsqu’il a fini par cesser, les bras tenaient à peine après le torse et la tête gisait dans la paille. Mon père a insisté pour allumer lui-même le bûcher. Ma mère, mon frère et moi avons été forcés de regarder rôtir le mécréant jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un tas de chair noircie.
    Je vis un frisson de dégoût parcourir le jeune Montfort.
    —    Votre père détestait vraiment ce Rossal, dis-je, faute de mieux.
    —    Plus que je le croyais humainement possible. Et j’ai senti autre chose dans son attitude. Une forme de regret, comme si la mort de cet homme le privait d’une chose à laquelle il tenait.
    —    La haine est un puissant aphrodisiaque, sire. Ceux qui ne vivent que par elle se retrouvent bien seuls lorsqu’elle n’a plus d’objet.
    —    Surtout pour Simon de Montfort. M’est avis que ce sont les cathares qui en feront les frais.
    Intérieurement, je jubilais. Non seulement Simon de Montfort me croyait mort, mais il avait célébré mon trépas avec une ferveur macabre. Ma voie était libre et je pourrais respirer un peu. Par contre il avait aussi déclaré n’avoir plus besoin de moi, ce qui me préoccupait fort. Il savait que la première part de la Vérité se trouvait à Montségur et avait déjà presque réussi à s’en emparer. En temps opportun, il tenterait encore de le faire, et rien ne me permettait de croire qu’il n’y arriverait pas. La mission qu’il avait confiée à son fils prouvait qu’il connaissait aussi l’emplacement de la seconde part, à Gisors. Par je ne sais quelle magie, était-il en avance sur moi ? Je ne pouvais pas l’affirmer, mais il n’était pas en retard et c’était déjà trop.
    Au milieu de l’après-midi, une gorgée de vin me fournit le prétexte que je cherchais pour m’éloigner momentanément de Guy.
    —    Elle est vide comme le tétin d’une vieillarde, déplorai-je exagérément en retournant l’outre pour la secouer.
    —    Et alors ? s’enquit le jeune Montfort.
    —    Les marchands commencent à manquer de tout, sire. Si nous voulons boire autre chose que de l’eau croupie d’ici Gisors, mieux vaudrait y voir tout de suite. Je vais y aller.
    Le jeune homme se mâchonna les lèvres, indécis.
    —    Bien. Mais fais vite, dit-il d’une voix inquiète.
    —    Je reviendrai dans l’instant, je vous l’assure. En attendant, restez plus près des autres. Ils ne vous taquineront plus.
    —    Oui, mais l’autre.
    —    Je vous l’ai dit : il est déjà loin d’ici, trop heureux d’être en vie. Et puis, en plein jour, qu’avez-vous à craindre sinon quelques railleries ?

    —    J’aimerais te croire.
    —    Il n’en tient qu’à vous, sire.
    Je fis faire demi-tour à Sauvage et me dirigeai à contre-courant vers la fin du convoi. Pour préserver le prétexte que j’avais invoqué, j’achetai du vin au premier marchand que je croisai en chemin. J’aurais préféré attendre l’arrêt des troupes pour retrouver mes compagnons à la faveur de la nuit, mais je devais composer avec les circonstances et les repérer, à cheval dans la foule. Heureusement, la carrure d’Ugolin passait difficilement inaperçue et c’est sa silhouette que je cherchai.
    Je manquai presque Pernelle, toute petite sur sa monture. Ugolin ne l’accompagnait pas. J’allais me diriger vers elle lorsque je constatai qu’elle n’était pas seule. J’immobilisai Sauvage et observai de loin, craignant qu’elle n’ait été débusquée.
    Un inconnu chevauchait à ses côtés. Il était vêtu d’une bure brune au capuchon remonté qui lui cachait le visage. Un moine chrétien. Et Pernelle semblait parfaitement à l’aise avec lui. Elle discutait tranquillement, riant même à l’occasion. Elle s’était probablement retrouvée prise avec ce personnage pour compagnie et devait maintenant donner le change en prétendant être chrétienne. Mais où était donc Ugolin ? Il savait bien qu’il était responsable de Pernelle.
    Puis le moine posa sa main sur le bras de mon amie, qui la lui tapota affectueusement. Je restai là, stupéfait. Il

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