L'Étreinte de Némésis
allongé pour me rendormir. Mais
il restait : il voulait absolument que je me lève, que j’enfile mon
manteau et que je le suive.
« La
nuit était claire, mais le vent soufflait en rafales. Les arbres s’agitaient.
On aurait dit des esprits qui secouaient la tête en murmurant : non, non.
J’aurais dû deviner que quelque chose de terrible allait se passer. Zénon a
couru vers la porte et l’a ouverte. Je l’ai suivi.
Le
jeune Thrace fronça le sourcil.
— Après,
j’ai du mal à me souvenir de tout ce qui est arrivé. Cela s’est passé si vite !
Nous étions dans le petit corridor qui mène à l’atrium. Soudain, Zénon s’est
arrêté et a reculé contre moi si violemment qu’il m’a presque jeté à terre. Il
a retenu sa respiration et a commencé à pleurnicher. Par-dessus son épaule, j’ai
vu un homme agenouillé, habillé en soldat. Il tenait une lampe. A côté de lui
se trouvait le corps du maître, la tête fracassée, ensanglantée.
— Et
cet homme était Crassus ? intervins-je, incrédule.
— Je
n’ai entrevu son visage qu’un instant. A vrai dire, je ne suis même pas sûr de
l’avoir vu. La lampe projetait des formes étranges et il se trouvait dans la
pénombre. De toute façon, même si je l’avais vu clairement, je ne l’aurais pas
reconnu. Comme je te l’ai dit, je n’ai jamais rencontré Crassus. Tout ce que je
suis sûr d’avoir vu, c’est le corps du maître, son corps sans, vie, sa tête qui
saignait. Puis l’homme a posé sa lampe et s’est levé d’un bond ; j’ai vu
son épée, qui brillait comme une flamme à la lumière de la lampe. Il a parlé à
voix basse, ni effrayé ni en colère, mais sa voix était froide, très froide. Il
nous a accusés du meurtre du maître ! « Vous allez payer pour ça !
Je vous ferai tous les deux clouer à un arbre ! » Zénon m’a attrapé
et entraîné vers la cour, puis vers les écuries. « Des chevaux ! s’est-il
exclamé. Il faut fuir ! Fuir ! » J’ai fait ce qu’il disait. Nous
étions déjà loin, l’homme ne pouvait pas nous suivre. Malgré tout, Zénon
galopait comme un fou. « Où pouvons-nous aller ? » ne cessait-il
de dire, en secouant la tête et en pleurant comme un esclave sur le point d’être
fouetté. « Où pouvons-nous aller ? Le pauvre maître est mort et nous
allons être punis ! » J’ai alors pensé à Olympias et me suis souvenu
de la maison de Iaia à Cumes. Je m’y étais rendu à plusieurs reprises. Je
pensais pouvoir retrouver la route dans l’obscurité, mais ce n’a pas été aussi
facile que je l’imaginais.
— Je
m’en suis moi-même rendu compte, dis-je.
— Nous
allions trop vite, et le vent soufflait de plus en plus fort. Nous ne pouvions
même plus nous entendre et le brouillard nous a enveloppés. Zénon était
terrorisé. Alors nous avons pris une mauvaise direction et nous nous sommes
approchés de la falaise, au-dessus de l’Averne. Je connaissais ma monture :
elle m’a averti à temps, mais j’ai manqué de peu de tomber dans le gouffre.
Zénon ne connaissait pas grand-chose aux chevaux. Quand l’animal a voulu s’arrêter,
il a dû lui donner un coup de talon, et le cheval a rué, le faisant basculer
dans le vide. Je l’ai vu disparaître dans le brouillard. La vapeur l’a
englouti. Puis le silence. Et enfin un bruit mat, étouffé, lointain, comme
celui d’un homme qui tombe dans de la vase. Il s’est mis alors à crier dans les
ténèbres : un cri long et terrifiant. Et le silence est retombé.
« Dans
l’obscurité, j’ai essayé de trouver un chemin pour descendre vers le rivage du
lac, mais les arbres, le brouillard et les ombres m’en ont empêché. Je l’ai
appelé, mais il n’a pas répondu. Je n’ai même pas entendu un gémissement. J’ai
dit quelque chose qui ne va pas ?
— Quoi ?
— L’expression
sur ton visage, Gordien… si étrange, comme si tu avais été là.
— Je
me remémorais simplement la nuit dernière…
Je
pensais à Eco et craignais le pire.
— Continue.
Qu’est-il arrivé ensuite ?
— Finalement
j’ai retrouvé la route de Cumes. Je suis entré dans la maison sans réveiller
les esclaves. Puis j’ai trouvé Olympias et je lui ai tout raconté. Iaia a eu l’idée
de me cacher dans la grotte. Cumes est un village minuscule ; elles n’auraient
jamais pu me dissimuler dans la maison. Mais même ainsi, tu m’as découvert.
— Dionysius
t’a trouvé le premier. Tu
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