L'Étreinte de Némésis
tout-puissant fût invité dans le lit de son
épouse, que l’on demandât à Crassus d’avoir un enfant à lui dans la maison où
il agissait en maître… Toutes ces humiliations ravageaient l’âme de Lucius.
« Tu
vois qu’entre les deux cousins les points de friction étaient nombreux. En
dehors des frustrations financières et des fraudes, il y avait bien d’autres
raisons qui pouvaient être à l’origine d’un meurtre. Crassus peut être assez
froid et brutal. Quant à la honte de Lucius, elle le torturait comme une
couronne d’épines. Qui sait quelles paroles se sont échangées cette nuit-là
dans la bibliothèque ? Ce qui est certain, c’est qu’avant la fin de la
nuit l’un des deux était mort.
Je
tournai les yeux vers le ciel.
— Et
maintenant, tous les esclaves vont mourir. C’est la justice romaine !
— Non,
nous pouvons certainement faire quelque chose ! s’exclama Alexandros.
— Rien,
murmura Olympias, en essayant de lui prendre le bras.
— Et
si…
Je
louchai à cause de la lumière du soleil qui flamboyait sur le toit de tuile
festonné. Il restait très peu de temps. Les jeux avaient peut-être commencé.
— Si
je pouvais affronter directement Crassus, avec Gelina comme témoin. Si
Alexandros pouvait le voir et l’identifier avec certitude…
— Non !
Alexandros ne peut quitter Cumes, intervint Olympias.
— Ah !
si seulement nous possédions le manteau, cette cape tachée de sang dont Crassus
a arraché le sceau, avant de la jeter sur le bord de la route ! Si
seulement je ne l’avais pas perdue cette nuit face aux assassins… Les assassins…
Oh, Eco !
Surgi
de l’ombre de la maison, le manteau venait d’apparaître au soleil. Sur le bras
d’Eco en personne qui, encore ensommeillé, souriait et clignait des yeux.
5
— Mais
je pensais que tu savais, dit Iaia. Olympias ne te l’a pas dit ?
Elle
oubliait que, la nuit précédente, quand Eco était venu frapper, à bout de
souffle, à sa porte, Olympias était déjà descendue dormir avec Alexandros dans
la grotte. Elle ignorait donc tout autant que moi la présence d’Eco dans la
villa. Et ainsi, alors que nous débattions et échangions nos conclusions sur la
terrasse, mon jeune fils dormait profondément dans la maison, serrant contre
lui le manteau sale et ensanglanté qu’il avait récupéré.
— Comme
je suis stupide, Gordien ! J’étais assise là, à essayer de t’impressionner
avec mes déductions, alors que pendant tout ce temps j’aurais pu te dire la
seule chose qui t’importait : que ton fils était sain et sauf, ici, sous
mon toit !
— Oui,
mais maintenant, l’important, c’est précisément qu’il soit ici, dis-je en
tentant de raffermir ma voix.
Je
clignai des yeux pour refouler mes larmes qui coulaient à la vue du visage sale
mais rayonnant d’Eco. Nous nous précipitâmes dans les bras l’un de l’autre.
— Quand
il est arrivé cette nuit, j’ai immédiatement vu qu’il était effrayé et épuisé,
mais pas blessé. Il faisait des efforts frénétiques pour me dire quelque chose,
mais je n’arrivais pas à le comprendre. Je lui ai fait une tisane pour le
calmer. Ensuite, il a mimé une tablette de cire et un stylet. Je suis partie en
chercher une, mais quand je suis revenue, il s’était endormi. Je suis allée
réveiller deux esclaves pour qu’ils le portent dans un lit. Je suis venue le
voir une fois ou deux. Il dormait comme une pierre.
Eco
leva les yeux vers moi. Il toucha le bandage qui entourait ma tête.
— Ce
n’est rien. Juste une petite bosse pour me rappeler d’être plus prudent dans
les bois.
Le
sourire s’évanouit brusquement de ses lèvres. Il détournait les yeux et avait l’air
profondément troublé. J’en devinai la raison : il avait honte. Il n’avait
pas su me prévenir de l’approche des agresseurs ; il n’était pas parvenu à
m’aider pendant l’attaque ; et ensuite, au lieu de m’envoyer des secours
dans la forêt, il s’était endormi malgré lui.
— Je
me suis endormi, moi aussi, lui murmurai-je.
Il
secoua la tête d’un air sombre. Il était fâché non pas contre moi mais contre
lui-même. Il fit une grimace et pointa son index vers sa bouche. Ses yeux
débordaient de larmes. Je le compris aussi clairement que s’il m’avait parlé :
« Si seulement je pouvais m’exprimer par la bouche comme tout le monde, j’aurais
pu crier pour t’avertir près du précipice. J’aurais pu dire à
Weitere Kostenlose Bücher