L'Étreinte de Némésis
remercié ! Ce qui m’afflige, c’est qu’il soit mort aussi
rapidement et sans souffrance. Il méritait une mort bien plus cruelle.
— Pourquoi
Fabius l’a-t-il tué ?
— Ma
visite était imprévue. Lucius n’en a été informé que très peu de temps avant
mon arrivée. Il a paniqué : il y avait des dizaines d’anomalies dans ses
comptes. Et puis des épées et des lances étaient cachées dans l’abri à bateaux
et attendaient d’embarquer. La nuit précédant mon arrivée, Fabius a quitté le
camp proche du lac Lucrin. Il est venu s’entretenir avec Lucius. Pour tromper
ceux qui auraient pu l’apercevoir, et à mon insu, il a emprunté mon manteau.
Avec sa couleur sombre, il était parfait pour passer inaperçu. Il n’imaginait
pas l’emploi qu’il en ferait et ne savait donc pas qu’il serait contraint de s’en
débarrasser. Une fois taché de sang, il ne pouvait ni le laisser sur place, ni
me le restituer. Il a arraché mon insigne et a jeté le tout dans la baie. Comme
l’insigne était assez lourd, il a dû tomber dans la mer mais le vêtement s’est
pris aux branches.
« Le
lendemain, je me suis demandé où était passée ma cape. Je m’en suis ouvert à
Fabius lui-même, qui n’a pas bronché. À ton avis, pourquoi portais-je chaque
nuit cette vieille chlamyde de Lucius ? Pour me conformer au goût de Baia
pour la mode grecque ? Non, bien sûr. J’avais perdu le manteau que j’avais
apporté de Rome.
Je
le dévisageai, soudain soupçonneux.
— La
première fois que j’ai suggéré que Lucius avait pu être tué ici, dans la
bibliothèque, tu m’as demandé où le sang était passé. Tu te rappelles, Marcus
Crassus ?
— Parfaitement.
— Et
je t’ai dit qu’un manteau taché de sang avait été découvert, au bord de la
route. N’as-tu pas soupçonné qu’il s’agissait du tien ?
— Non,
Gordien. Tu m’as parlé d’un morceau de tissu, pas d’un manteau. Tu n’as jamais
prononcé le mot « manteau », ni même « cape ». Je me
souviens exactement de tes paroles.
Il
respira, but une gorgée de vin et me regarda avec malice.
— Bon,
d’accord, j’admets qu’à cet instant j’ai ressenti une étrange sensation, comme
une appréhension. Peut-être qu’un dieu m’a murmuré à l’oreille que ce morceau
de tissu pouvait être mon manteau perdu, auquel cas le meurtre de Lucius aurait
été une affaire plus complexe que je ne le soupçonnais. L’homme le plus sage ne
sait jamais si les dieux murmurent à son oreille une vérité ou une folie…
— Mais
pourquoi Fabius a-t-il tué Lucius ?
— Il
a quitté Rome prêt à tuer Lucius, mais le meurtre lui-même fut improvisé.
Lucius est devenu fou. Que se passerait-il si je découvrais tout, si j’étudiais
attentivement les comptes ou demandais à voir le capitaine de la Furie ?
Il se voyait perdu. Fabius lui demanda de se calmer. Ensemble, affirma-t-il,
ils pourraient se débrouiller pour détourner mon attention des comptes. Ainsi
je ne soupçonnerais jamais leur entreprise. Qui sait ? Ils auraient
peut-être réussi. Mais Lucius a perdu la tête, il s’est mis à pleurer. Pour
lui, l’aveu était la seule planche de salut. Il avait l’intention de tout me
dire et de s’en remettre à mon pardon. Il ne laissait pas de choix à Fabius.
Celui-ci a pris la statue et l’a fait taire pour toujours.
« Ce
fut un coup de génie d’incriminer les esclaves, tu ne penses pas ? Ce type
de réaction instantanée, ce sang-froid, cette vivacité d’esprit, ce sont
exactement les qualités dont j’ai besoin chez mes officiers. Quelle perte !
Quand Zénon et Alexandros se sont approchés de lui, ce fut l’occasion rêvée :
Fabius les a effrayés et les a fait fuir dans la nuit. Ainsi ils devenaient de
parfaits boucs émissaires. Et il a eu de la chance que Zénon meure, parce que
celui-ci l’avait certainement reconnu. Alexandros ne l’avait jamais vu
auparavant, donc il ne pouvait dire à Iaia et Olympias qui il avait vu.
— C’est
pour ça que Fabius n’a pas fini de graver le nom Spartacus ? Parce que les
esclaves l’ont dérangé ?
— Non.
Il avait déjà nettoyé le sang visible dans la bibliothèque et sur le sol du
corridor, mais il devait encore récupérer les documents compromettants.
Certains étaient sur la table quand il avait tué Lucius et du sang les avait
maculés. Fabius s’était contenté de les rouler et de les mettre par terre pour
qu’ils
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