Lettres
le portrait de Lira, après je verrai quoi d’autre. J’ai le moral à zéro (…) Salas m’a prêté La Lanterne sourde de Jules Renard et je me suis acheté Jésus de Barbusse. C’est tout ce que j’ai lu. Je vais maintenant me plonger dans Le Phare (…)
Lettre et dédicace à Miguel N. Lira
22 mai 1927
Cher frangin,
Depuis aujourd’hui lundi, je suis de retour à Coyoacán. Je serais ravie de vous revoir. Ton portrait est presque terminé. Je vous attends mercredi comme d’habitude, préviens les garçons, s’il te plaît. Mon échine se porte toujours aussi mal, j’en bave comme ça n’est pas permis, tu ne peux même pas imaginer. Bon, mais il va bien falloir que je tienne, pas vrai ?
Alex m’a écrit de Berlin, mais il ne me donne pas sa nouvelle adresse ; je ne sais pas si je dois continuer à écrire chez Ortega. Qu’est-ce que tu en penses ? Tu me diras mercredi.
Amitiés de ta frangine,
Frieducha
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Au dos de l’aquarelle Cantina Tu Suegra
This is my chef-d’œuvre and seulement you sauras l’apprécier avec your âme d’enfant, your frangine à l’eau. Friducha. 18 juillet 1927.
Lettres à Alejandro Gómez Arias
Mardi 29 mai 1927
(…) Mon père m’a dit que quand j’irai mieux il m’emmènera à Veracruz, mais c’est pas demain la veille, vu que les caisses sont vides (toujours la même rengaine). Attendons de voir s’il arrive à tenir sa promesse. Ça fait un bail que je me tourne les pouces et si ça continue, je vais devenir dingue. Mais quand you rentreras, tute this bourdon disparaîtra… Certains naissent sous de bons auspices mais, crois-le ou non, je suis de ceux qui dès la naissance sont bons pour l’hospice. (…)
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Dernier jour de mai 1927
(...) J’ai presque fini le portrait de Chong Lee, je vais t’en envoyer une photo (…) Je vais de plus en plus mal et il faut que je me fasse à l’idée qu’on va devoir m’opérer à coup sûr, sinon le temps va passer et le deuxième corset qu’on m’a mis n’aura servi à rien : presque 100 pesos foutus en l’air, généreusement refilés à deux voleurs, comme le sont la plupart des médecins. Quant à ma jambe, rien n’a changé, parfois même c’est la bonne qui me fait mal, bref, je vais de mal en pis et je n’ai même pas l’espoir d’aller mieux parce qu’il manque le principal, c’est-à-dire l’argent. J’ai une lésion au nerf sciatique et à un autre dont j’ignore le nom mais qui a des ramifications dans les organes génitaux, deux vertèbres va savoir dans quel état et une tripotée d’autres choses que je ne peux pas t’expliquer car je n’y comprends rien, alors ne me demande pas en quoi consiste l’opération, personne n’est fichu de me le dire. Bref, je n’ai pas grand espoir d’aller, si ce n’est bien, au moins mieux pour ton retour. Je comprends que, dans de telles circonstances, il faut avoir la foi, mais tu n’imagines pas une seule seconde ce que j’endure, surtout que je ne crois pas que tout ça m’aide à guérir un jour. Si un docteur s’intéressait un tant soit peu à moi, il pourrait au moins me soulager, mais ceux que j’ai consultés forment une bande d’abrutis qui se fichent bien de moi, et des escrocs par-dessus le marché. Du coup, je ne sais plus quoi faire, et le désespoir ne sert à rien (…) Lupe Vélez est en train de tourner son premier film avec Douglas Fairbanks. Tu étais au courant ? Comment sont les cinémas en Allemagne ? Qu’est-ce que tu as vu ou appris de neuf sur la peinture ? Tu vas aller à Paris ? Et le Rhin, il est comment ? Et l’architecture allemande ? Tout (…)
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Samedi 4 juin 1927
Alex, mon cœur,
J’ai reçu ta lettre cet après-midi (…) Je n’espère même plus que tu sois rentré pour le mois de juillet, car tu es tombé sous le charme (…) de la cathédrale de Cologne et de toutes ces choses que tu as vues ! Moi, en revanche, je compte les jours jusqu’à ton retour à une date inconnue. Je suis triste de penser que je serai toujours malade quand tu rentreras. Lundi on va me changer cet appareil pour la troisième fois, du coup je ne pourrai pas marcher pendant deux ou trois mois, jusqu’à ce que ma colonne soit parfaitement soudée, et je ne sais pas si après il faudra encore m’opérer. De toute façon, je m’ennuie déjà et bien souvent je me dis qu’il vaudrait mieux que j’aille goûter les pissenlits par la racine, tu ne crois
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