Lettres
Kahlo ». Le texte complet figure dans mes livres Frida Kahlo. Chronique, témoignages et approches (1977) et Frida Kahlo : une vie ouverte (1983). Ces « fragments » ont été par la suite cités à de nombreuses reprises, sans que la source en soit toujours précisée. Des paragraphes entiers ont été publiés, signés par d’autres. Ces appropriations sont bien la preuve de l’efficacité de ce genre de récit : la transcription textuelle des mots de Frida.
En 1974, j’ai pu divulguer pour la première fois quelques-unes des nombreuses lettres envoyées par Frida à son amour de jeunesse, Alejandro Gómez Arias, dans l’article « Frida Kahlo vingt ans après sa mort » (supplément Diorama de la Cultura du journal Excélsior , 14 juillet). Sa langue désinvolte, imaginative, témoignant d’un cœur et d’une intimité à nu, me laissa supposer que les écrits de Frida devaient receler des compartiments bien différents de ceux de son Journal, qui n’est pas une transcription de son vécu mais une série d’allégories, de confessions détournées, d’adulations poétiques, de lamentations, au sein desquelles les expressions verbales et visuelles se complètent avec une intensité surréaliste.
Lorsque Hayden Herrera, dans son ouvrage majeur Frida. Biographie de Frida Kahlo (d’abord publié en anglais en 1983 puis en espagnol en 1985), donna à connaître de nombreuses lettres de Frida à ses amis et amants, j’eus la conviction qu’il fallait réunir sous forme chronologique ce qu’elle avait écrit (lettres, messages, confessions, reçus, poèmes, demandes, plaintes, remerciements, implorations et autres textes plus élaborés) car le résultat de ce travail serait indéniable : une autobiographie tacite, qui accorde à Frida ses lettres de noblesse dans la littérature confessionnelle et intimiste du XX e siècle mexicain.
Étant donné la mythification dont Frida a fait l’objet durant ces deux dernières décennies, j’ai eu conscience de la difficulté qu’il y aurait à augmenter le volume de ce qui avait déjà été divulgué et d’accéder à ce qui à présent est jalousement gardé (succès commercial oblige). Le fruit de mes efforts est probablement modeste. Mais la finalité, je le répète, était tout autre : la séquence, le discours à la première personne, sans interprétations ni surinterprétations, sans laisser d’autres styles interférer. J’ai ainsi replacé les écrits non datés là où ils se situaient selon moi.
Voici donc réunis ses écrits (incomplets), livrés à leur sort face au lecteur, sans cadre narratif ou interprétatif pour les étayer. Ils n’en ont pas besoin. Elle par elle-même, oscillant de la sincérité à la manipulation, de l’autocomplaisance à l’autoflagellation, avec toujours son insatiable besoin d’affection, ses commotions érotiques, ses chatouillements humoristiques, son absence de limites, sa capacité à s’auto-évaluer et son extrême humilité.
Je dois remercier ceux qui sont arrivés avant moi dans les archives, dont j’ai trouvé les cadenas ouverts. J’ai de nombreuses dettes envers bien des personnes à qui je tiens à rendre hommage. Je ne voudrais pas qu’elles se sentent offensées dans leurs droits : il s’agit là d’un pas supplémentaire dans la construction publique d’un personnage qui désormais nous appartient à tous, car nous avons tous contribué à mettre à nu son intimité la plus secrète.
Frida s’est abritée sous de nombreux toits, sur différents sols, mais elle est née dans la maison de Coyoacán et c’est là qu’elle est morte (6 juillet 1907 – 13 juillet 1954), dans l’espace familial dont elle avait fait son royaume.
Raquel Tibol
Note de la traductrice
Frida Kahlo ne s’est donc pas contentée de peindre. Elle a aussi écrit. Et ses écrits sont de nouvelles peintures de soi. Elle s’est écrite comme elle s’est peinte : en se livrant, en racontant ses douleurs, ses engagements, ses amours. Elle couche ses sujets favoris sur le papier comme sur la toile. Ceux qu’elle représente sur ses tableaux ou ceux à qui elle les dédie sont aussi les destinataires de ses lettres.
Parfois elle parle de sa peinture, livre des clés pour mieux la comprendre. Mais ses écrits, loin d’être de simples commentaires, sont de véritables créations. Les mots sont « des couleurs que je ne connais pas », dit-elle. On a peine à le croire en la
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