Lettres
douleurs sont telles que rien ne peut les faire disparaître. Aujourd’hui, on devait me poser le corset de plâtre, mais cela se fera probablement mardi ou mercredi parce que mon père n’a pas réuni la somme – ça coûte 60 pesos – et ce n’est pas tellement une question d’argent, parce qu’il pourrait le trouver, mais c’est que personne dans cette maison ne me croit vraiment malade. Je ne peux même pas en parler car ma mère, la seule à qui ça fait de la peine, se met dans tous ses états, et après on dit que c’est ma faute, que je suis imprudente. Du coup, c’est moi et moi seule qui souffre et je t’assure que j’en perds tout espoir. Je ne peux pas trop écrire car c’est tout juste si j’arrive à me pencher, je suis incapable de marcher car cela me fait horriblement mal à la jambe, je suis fatiguée de lire – je n’ai rien de vraiment sympathique à lire –, je ne peux rien faire à part pleurer et encore, parfois j’y arrive même pas. Rien ne m’amuse, je n’ai pas la moindre distraction, rien que des malheurs, et ceux qui viennent me voir de temps en temps me tapent sur les nerfs. Je pourrais supporter tout ça si tu étais là mais, vu les circonstances, j’aimerais autant passer l’arme à gauche le plus vite possible… J’en peux plus de ces quatre murs. Et de tout ! Je n’ai pas les mots pour te décrire mon désespoir…
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Dimanche 31 avril 1927
Jour du Travail
Mon Alex,
Je viens de recevoir ta lettre du 13 : mon seul bonheur de tous ces derniers temps. Même si ton souvenir m’aide à être moins triste, tes lettres sont encore mieux.
Comme j’aimerais t’expliquer minute par minute ma souffrance. Je vais pire que quand tu es parti et je suis inconsolable, pas un seul instant je n’arrive à t’oublier.
Vendredi, on m’a posé cet engin en plâtre. Depuis, c’est un vrai calvaire, comparable à rien ; je ressens comme une asphyxie, une douleur atroce dans les poumons et dans tout le dos ; quant à ma jambe, je ne peux même pas la toucher ; je ne peux presque pas marcher et encore moins dormir. Figure-toi qu’on m’a suspendue par la tête pendant deux heures et demie, ensuite sur la pointe des pieds pendant plus d’une heure, pendant qu’on séchait tout ça avec de l’air chaud ; mais quand je suis arrivée à la maison, c’était encore humide. Ça s’est passé à l’hôpital des Dames françaises. À l’hôpital français, ils voulaient me garder au moins une semaine en observation, sinon rien ; dans l’autre, la pose a commencé à neuf heures et quart et j’ai pu sortir vers une heure. Ils n’ont laissé entrer ni Adriana ni personne, j’étais toute seule à souffrir le martyre. Je vais devoir endurer cette torture pendant trois ou quatre mois et, si ça ne me soulage pas, sincèrement, je préfère mourir, parce que je suis au bout du rouleau. Ce n’est pas seulement la souffrance physique, c’est aussi que je n’ai pas la moindre distraction, je ne sors pas de cette chambre, je ne peux rien faire, je ne peux pas marcher, je suis complètement désespérée et, surtout, tu n’es pas là. Sans compter le reste : entendre en permanence les plaintes des uns et des autres ; ma mère va toujours aussi mal, elle a fait sept crises ce mois-ci ; mon père n’en mène pas plus large et il n’a plus un sou. Il y a de quoi perdre espoir, non ? Chaque jour je suis plus maigre et plus rien ne m’amuse. La seule chose qui me fait plaisir, c’est quand les garçons viennent me voir ; jeudi, j’ai reçu la visite de Chong, du blondinet Garay, de Salas et de Goch, et ils vont revenir mercredi ; sauf que ça ravive ma souffrance, car tu n’es pas avec nous.
Ta petite sœur et ta mère vont bien, mais elles donneraient sûrement n’importe quoi pour t’avoir ici ; fais ton possible pour venir bientôt.
Sois sûr et certain que quand tu reviendras je serai exactement la même.
Ne m’oublie pas et écris-moi beaucoup, c’est presque dans l’angoisse que j’attends tes lettres et elles me font un bien infini.
N’arrête jamais de m’écrire, au moins une fois par semaine, tu me l’as promis.
Dis-moi si je peux t’écrire à la Légation du Mexique à Berlin, ou si je fais comme d’habitude.
Si tu savais comme j’ai besoin de toi, Alex ! Viens vite !
Je t’adore.
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Samedi 7 mai 1927
(...) Quand je me serai habituée à cette saleté d’appareil, je vais peindre
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