Lettres
demander mille fois pardon et de vous dire aussi que nous sommes bien arrivés au pays des enchiladas et des haricots noirs. Diego a commencé à travailler au Palais. Il a eu un petit souci à la bouche ; en plus, il est épuisé. Si jamais vous lui écrivez, dites-lui, s’il vous plaît, qu’il doit ménager sa santé, sinon, s’il continue à travailler comme ça, il va mourir. N’allez surtout pas lui dire que je vous ai raconté qu’il travaille autant, dites-lui juste que vous êtes au courant et qu’il faut absolument qu’il prenne un peu de repos. Je vous en serais extrêmement reconnaissante.
Diego n’est pas content d’être ici, l’amabilité des gens de San Francisco lui manque, et la ville aussi. Tout ce qu’il veut, c’est retourner peindre aux États-Unis. Mon retour s’est bien passé, je suis aussi maigre que d’habitude et tout m’ennuie, mais je me sens beaucoup mieux. Je ne sais pas comment vous payer ma guérison et toutes les attentions que vous avez manifestées à notre égard. Je sais que l’argent serait la pire des méthodes, mais la plus grande reconnaissance que je pourrais vous témoigner ne compenserait jamais votre amabilité, alors, je vous en supplie, dites-moi combien je vous dois, car j’ai honte d’être rentrée sans vous avoir rien donné qui puisse équivaloir à votre bonté. Quand vous me répondrez, racontez-moi comment vous allez, ce que vous faites, tout, et veuillez saluer de ma part tous nos amis, en particulier Ralph et Ginette (39) .
Le Mexique n’a pas changé, c’est un désordre de tous les diables, il ne lui reste que l’immense beauté de la terre et des Indiens. Chaque jour, les sales États-Unis lui en volent un petit bout, c’est bien triste, mais les gens ont besoin de manger, alors c’est comme ça, le grand poisson dévore le plus petit. Diego vous passe bien le bonjour. Et recevez toute l’affection que vous porte
Frieda
*
New York, 26 novembre 1931
(…) La high society d’ici me tape sur le système et je suis pas mal en colère contre tous les richards du coin, car j’ai vu des milliers de gens dans une misère noire, sans rien à manger, sans un toit où dormir, c’est ce qui m’a le plus impressionnée ici. Je trouve épouvantable de voir les riches passer leurs jours et leurs nuits dans des parties, pendant que des milliers et des milliers de gens meurent de faim. (…)
Malgré tout l’intérêt que je porte au développement industriel et mécanique des États-Unis, je trouve qu’ils manquent cruellement de sensibilité et de bon goût.
Ils vivent comme dans un énorme poulailler, sale et désagréable. Leurs maisons ressemblent à des fours à pain et le confort dont ils nous rebattent les oreilles n’est qu’un mythe. Peut-être que je me trompe, je vous dis juste ce que j’ai sur le cœur. (…)
Lettre à Matilde Calderón
New York, 20 janvier 1932
Ma chère petite maman,
Je vais enfin mieux, juste un chat dans la gorge et je tousse un peu, mais ce n’est rien. Le pire, c’est d’avoir passé quelques jours à m’ennuyer comme pas deux, cloîtrée dans cet hôtel miteux, à regarder Central Park où les arbres sont tellement clairsemés qu’on dirait une décharge, et à écouter rugir les lions, les tigres et les ours qui sont dans le zoo en face de l’hôtel. La nuit, je me suis mise à lire des romans policiers ; quand je tombe de sommeil, je vais au lit et là, les cauchemars commencent.
Huit jours de grippe où je n’ai rien fait d’autre. Hier, je suis enfin sortie un moment, mais je ne veux pas jouer les dures, parce que, ici, le climat ne fait pas de cadeau et si je rechute ce sera pire, tu ne crois pas ? Je préfère donc m’ennuyer et bayer aux corneilles à l’intérieur de l’hôtel. En plus, dès le matin, ça défile, l’après-midi aussi, et le soir j’attends Diego.
Alors on descend manger au restaurant de l’hôtel, ou bien on se fait monter le dîner dans la chambre.
Il y a une dame qui vient me voir régulièrement ; elle a sa sœur à San Francisco ; elle dit qu’elle me trouve sacrément sympa. La pauvre vieille, elle est gentille avec moi, mais moi, je ne supporte pas beaucoup les gens, je ne sais pas pourquoi.
Des fois, je reçois la visite des Bloch, des Juives dont le père est le meilleur compositeur de musique moderne, Ernest Bloch. Elles sont gentilles avec moi. La plus grande joue du luth (un instrument très ancien qui remonte au
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