Lettres
mais je ne perds pas espoir, un jour nous nous retrouverons dans la joie et la bonne humeur comme à New York.
Sache aussi que Diego a été très malade ces deux dernières semaines, il a eu une fièvre nerveuse qui a duré plus de dix jours sans discontinuer, la température baissait et remontait et je ne savais pas quoi faire. Nacho Millán l’a examiné ; tu sais à quel point Diego le respecte en tant que médecin, alors il a fait tout ce que Nacho lui a préconisé et en moins de deux semaines sa santé s’est pas mal améliorée.
Nacho dit que Diego a les nerfs dans un sale état, il lui fait des piqûres et il l’a mis au régime ; mais je vois que Diego est faiblard et tout maigrichon, sa peau est d’une couleur jaunâtre et surtout, et c’est ce qui m’angoisse le plus, j’ai l’impression qu’il n’a plus d’énergie pour travailler, il est toujours triste, comme si rien ne l’intéressait. Parfois il est désespéré et il ne s’est pas encore remis à peindre. Les murs du Palais et de la faculté de médecine sont prêts, mais comme il ne se sent pas bien, il n’a pas encore commencé à peindre ; ça me rend affreusement triste, parce que si lui n’est pas content, je ne suis pas tranquille, et sa santé m’inquiète plus que la mienne. Si je retiens mes larmes, c’est pour ne pas le chagriner ; si je lui dis que ça me fait de la peine de le voir comme ça, il va encore plus s’inquiéter et ce sera pire, parce qu’il est tellement sensible que la moindre broutille le tourmente et lui met le moral à zéro ; je ne sais pas quoi faire pour lui redonner du cœur à l’ouvrage et lui, il pense que tout est ma faute parce que je l’ai fait revenir au Mexique ; moi, je sais que je ne suis pas la seule coupable de son retour et ça me console ; mais tu n’imagines pas à quel point je souffre en sachant qu’il pense qu’il est revenu à cause de moi et que voilà dans quel état il est maintenant. Je voudrais te dire tellement de choses que par lettre c’est difficile, je suis désespérée d’être si loin de vous, mais on n’y peut rien, il faut juste attendre et attendre qu’il comprenne que je n’ai jamais eu l’intention de lui faire du mal, d’ailleurs je savais parfaitement ce que signifiait pour lui un retour au Mexique, et moi-même j’ai essayé de le lui faire comprendre à plusieurs reprises à New York. (Je ne sais pas ce qui arrive à cette machine, elle écrit comme un pied.)
Vous êtes témoins du fait que je suis rentrée à contrecœur et, même s’il n’y a plus rien à faire maintenant, ça me console de savoir que vous au moins vous savez que je dis la vérité. J’ignore si l’état de Diego est dû à son amaigrissement trop rapide à Detroit ou au mauvais fonctionnement de ses glandes ; le fait est qu’il a le moral à zéro et que je souffre encore plus que lui, si tant est que ce soit possible, en voyant qu’il n’y a pas moyen de le faire changer d’avis et que j’ai beau être prête à tout donner, même ma vie, pour lui rendre la santé, rien n’y fait. Et encore, ce que je te raconte n’est rien comparé à ce que j’ai souffert ces derniers mois ici. Je ne dis rien à Diego pour ne pas le mortifier, mais il m’arrive de perdre totalement espoir. Tout cela, bien sûr, se reflète dans la situation financière de Diego, vu qu’il ne travaille pas mais que ses dépenses sont toujours aussi énormes ; du coup, je ne sais pas où ça va nous mener. Je fais de mon mieux pour l’encourager et lui faciliter la tâche, mais ça ne donne rien ; si tu savais comme il a changé par rapport à la dernière fois où vous l’avez vu à New York ; il n’a envie de rien faire, et surtout pas de peindre ici ; je ne peux pas le blâmer, je sais pourquoi il est dans cet état, entouré des pires crétins de la planète, et qui ne veulent rien comprendre par-dessus le marché. Mais comment les faire changer sans changer tout ce qu’il faudrait changer dans ce monde rempli de salauds de la même espèce ? Bref, le problème, ce n’est ni le Mexique, ni la Chine, ni les États-Unis, c’est ce que toi et moi et tous nous connaissons par cœur, alors, naturellement, j’aimerais que Diego ait envie, tout comme il a eu envie de s’exprimer à New York, de s’exprimer ici, ou n’importe où dans le monde, d’ailleurs je crois que ce n’est pas l’envie qui lui manque, mais ce qui est triste, c’est
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