Lettres
qu’il porte tout ça à l’intérieur de lui, et sa maladie l’empêche d’être le même qu’avant, même si lui prétend que c’est à cause du Mexique ou de tout ce qui l’entoure, tu ne crois pas ? Le fait est que je suis constamment angoissée de le voir comme ça et j’ignore quelle pourrait bien être la solution, tu me comprends ?
Je ne veux surtout pas qu’il apprenne que je t’ai raconté tout ça, comme je te l’ai dit, dès qu’il soupçonne qu’on parle de lui et de ce qui lui arrive, il se met dans tous ses états ; en revanche, j’aimerais bien que tu lui écrives de façon intelligente, comme si je ne t’avais rien dit, pour l’encourager ; et si Bert pouvait lui écrire lui aussi, car il dit qu’il n’aime rien de ce qu’il a fait, que sa peinture du Mexique et une partie de celle des États-Unis sont horribles , qu’il a misérablement perdu son temps, qu’il n’a plus envie de rien ; bref, difficile de t’expliquer dans une lettre son humeur du moment, mais tu t’en rendras compte avec le peu que je t’écris et tu comprendras ma douleur de le voir dans cet état, car s’il est quelqu’un qui a travaillé d’arrache-pied dans ce monde, c’est bien Diego. Tout ce que je t’écris n’est rien comparé à ma tristesse de le voir à ce point abattu et las.
Je ne veux pas te fatiguer en ne te racontant que mes malheurs mais, pour une raison que j’ignore, ça me console de te dire tout ça ; c’est sûrement parce que quelque part tu m’aimes, alors j’en profite pour décharger sur toi un peu du poids que je ressens ; mais crois-moi, si je ne me sentais pas triste pour de bon, je n’irais pas te déranger en t’écrivant une lettre aussi longue et ennuyeuse.
Dis à Boit que, même si je ne lui ai pas écrit directement, c’est comme si je l’avais fait puisque je t’ai écrit à toi ; embrasse-le de ma part, très très fort, de même que toute ta famille, les garçons de l’École, tout particulièrement Jay, car tu sais à quel point je l’aime ; et si tu vois nos deux « tourtereaux », je veux parler de Lucienne et de Dimi, passe-leur aussi le bonjour de ma part, également à tous nos amis de là-bas, et embrasse bien Maluchita, Harry et Maluchitititita ; ne leur raconte rien de ce que je t’ai dit à propos de Diego, parce qu’ils ne comprennent rien à tout ça et ce ne serait que matière à commérages.
Voilà, tu comprends un peu mieux pourquoi parfois je n’ai pas envie d’écrire ; mais personne n’est au courant, pas même Paca, c’est pour ça que les autres te bourrent le mou en te disant du mal de moi, en racontant que je suis la flemme incarnée, perchée qui plus est sur le dos d’une tortue. Surtout n’en crois pas un mot, je t’aime toujours autant, comme quand je vous voyais tous les jours, mais à quoi bon dire ça par lettre ?
Je t’envoie des milliers de baisers, donnes-en un peu à Boit et aussi à ta maman et à ton papa.
Écris-moi vite pour que je ne devienne pas une sale gamine triste.
Au revoir, ma belle.
Frieda
Je t’ai écrit sur cette feuille de l’université parce que je n’ai plus de papier blanc, c’est tout ce qu’il me reste. Excuse-moi.
Texte rédigé sur du papier à en-tête
du Parti national étudiant
« pro-Cárdenas » (58)
Mais non, ça ne se peut pas, cette fin n’est pas la bonne (…) je connais bien le roman, ami lecteur. Cet imbécile de Raskolnikov, ton héros, est allé pourrir en Sibérie, il a pourri à jamais, et sa source d’espoir, prête à le suivre n’importe où, Sonia, est morte avec lui.
C’était son destin, le destin du misérable, du déchu, de celui d’en bas, condamné à souffrir éternellement, à mourir maudit par Dieu et par les hommes.
(…) Mais il y a un autre Raskolnikov, celui qui est sorti de prison pour refaire sa vie ; celui-là est une fiction, celui-là n’a vécu que dans la conscience d’un homme médiocre qui ne se résigne pas à mourir et à être oublié.
Mais la réalité est tout autre ; elle est plus bestiale, elle est plus terrible, elle est douloureuse, et celle-là, je te l’ai déjà racontée (…) lecteur.
FIN
Frida Kahlo
Lettre à Alejandro Gómez Arias
12 octobre 1934
Alex,
Plus de lumière, j’ai donc arrêté de peindre mes petites figurines. J’ai continué à réfléchir à la décoration du mur (59) séparé par another wall of sagesse. J’ai la
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