Lettres
tête pleine d’arachnides microscopiques et de minutieuse vermine. Je crois qu’il va falloir construire le mur sur un mode microscopique également, ou bien ce fallacieux barbouillage nous donnera du fil à retordre. Penses-tu que toute la sagesse silencieuse tiendra dans un espace à ce point limité ? Et quid des bouquins susceptibles de contenir such petites lettres sur des feuillets presque inexistants ? That is the big problème, et c’est à toi de le résoudre architectoniquement parlant car, comme tu le dis si bien, moi pas fichue d’agencer la big réalité sans aller droit à la collision. Soit j’étends du linge dans les airs, soit je place ce qui est loin dans une proximité dangereuse et fatale. Tu trouveras une solution avec ta règle et ton compas.
Tu sais que je n’ai jamais observé de forêts ? Comment veux-tu que je peigne un fond sylvestre, couvert de bestioles en train de se la couler douce ? Enfin, je ferai ce que je peux et si tu n’aimes pas, tu pourras procéder à la destruction ferme et efficace de ce qui aura déjà été peint et bâti. Mais l’édification aura pris tellement de temps qu’il ne nous en restera guère pour penser à l’effondrement.
Je n’ai pas encore pu organiser le défilé des tarentules et autres créatures ; je me dis que tout s’agglutinera sur la première des innombrables couches que doit comporter un tel mur.
Ça m’a fait tellement de bien de te voir, que je n’ai pas pu te le dire. J’ose te l’écrire maintenant que tu n’es pas là, et puis c’est une lettre d’hiver. Que tu me croies ou non, c’est comme ça, et je ne peux pas t’écrire sans te le dire.
Je t’appellerai demain. J’aimerais bien qu’un jour tu m’écrives, ne serait-ce que trois mots. J’ignore pourquoi je te demande ça, mais je sais que j’ai besoin que tu m’écrives. Tu veux bien ?
Lettre à Ella et Bertram D. Wolfe
Jeudi 18 octobre 1934
Ella et Boit,
Cela fait si longtemps que je ne vous ai pas écrit que je ne sais par où commencer. Mais je ne veux pas vous servir d’interminables et ennuyeux prétextes et vous raconter en long et en large les raisons pour lesquelles je ne vous ai pas écrit durant les mois qui viennent de s’écouler. Vous savez tout ce que j’ai enduré et je crois que vous comprendrez ma situation, même si je vous épargne les détails (60) . Je n’avais jamais autant souffert et jamais je n’aurais cru devoir supporter tant de malheurs. Vous n’imaginez pas dans quel état je suis et je sais qu’il me faudra des années pour faire le ménage dans ma tête. Au début, je croyais qu’une solution était encore possible, je pensais que ça n’allait pas durer, que c’était une chose sans importance, mais je suis chaque jour un peu plus convaincue de m’être fait des illusions. Tout cela est très sérieux et les conséquences sont tout aussi sérieuses, comme vous l’imaginez probablement.
En premier lieu, c’est une double peine, si je puis m’exprimer ainsi. Vous savez mieux que quiconque ce que Diego signifie pour moi et, d’un autre côté, elle était la sœur que j’aimais le plus, que j’avais essayé d’aider quand elle avait atterri entre mes mains, ce qui fait que la situation est horriblement compliquée et elle empire de jour en jour. Je voudrais pouvoir tout vous dire pour que vous compreniez bien ce qu’il m’a fallu supporter ; mais je risque de vous ennuyer avec ma lettre, à ne parler que de moi. Croyez-moi, si je vous raconte par le menu les dessous de l’affaire, vous allez prendre vos jambes à votre cou avant d’avoir fini de lire cette lettre. En plus, je ne voudrais pas que vous pensiez que je suis une commère et que j’aime noircir le papier avec des ragots inutiles. Mais ça fait longtemps que je voulais vous écrire et vous dire ce qui se passe, sachant que vous êtes les seuls à pouvoir comprendre pourquoi je vous raconte tout ça et pourquoi je souffre autant.
Je vous aime trop et j’ai trop confiance en vous pour vous cacher le plus grand malheur de ma vie. Voilà pourquoi je me décide à présent à tout vous dire.
Bien évidemment, il ne s’agit pas d’une lubie sentimentale de ma part, c’est toute ma vie qui est touchée et c’est pourquoi je me sens comme perdue, sans que rien ne puisse m’aider à réagir de façon intelligente. Ici, au Mexique, je n’ai personne, j’avais seulement Diego et les gens de ma famille, qui prennent
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