Lettres
la chose à la mode catholique et ce qu’ils en concluent est à mille lieues de moi, tant et si bien que je ne peux absolument pas compter sur eux. Mon père est une personne admirable, mais qui lit Schopenhauer jour et nuit ; il ne m’aide pas le moins du monde.
J’ai été tellement malade que je n’ai rien peint jusqu’à ma sortie de l’hôpital. Je m’y suis remise, mais sans la moindre envie, et sans que ce travail ne m’apporte quoi que ce soit. Des amis, ici, je n’en ai pas. Je suis complètement seule. Avant, je passais mes journées à hurler de rage contre moi et sur mon malheur ; à présent je ne peux même pas pleurer car j’ai compris que c’était stupide et inutile. J’avais l’espoir que Diego allait changer, mais je vois et je sais que c’est impossible, que j’étais niaise, j’aurais dû comprendre depuis le début que ce n’est pas moi qui le ferai vivre de telle ou telle façon, et encore moins dans ce genre de circonstances. Maintenant qu’il s’est remis au travail, rien n’a changé, alors que j’avais espéré qu’en travaillant il oublierait tout ça, mais non, au contraire, rien ne peut l’écarter de ce qu’il croit et considère bien fait.
En fin de compte, toute tentative de ma part est ridicule et imbécile. Il veut sa totale liberté. Liberté qu’il a toujours eue et qu’il aurait eue cette fois encore s’il avait agi à mon égard en toute sincérité et honnêteté ; mais ce qui m’attriste davantage encore, c’est que même la part d’amitié qui nous liait n’existe plus. Il me raconte sans cesse des mensonges et me cache tous les détails de sa vie, comme si j’étais sa pire ennemie.
Nous vivons une vie fausse et remplie de bêtises que je ne peux plus supporter. Il a d’abord son travail qui le sauve de bien des choses, puis toutes ses aventures qui le divertissent. Les gens le cherchent lui et pas moi ; je sais qu’il est toujours contrarié et angoissé par son travail, néanmoins il vit une vie complète, loin du vide stupide de la mienne. Je n’ai rien car je ne l’ai pas lui. Je n’aurais jamais cru que pour moi il signifiait tout et que sans lui je n’étais qu’un déchet. Je croyais que je l’aidais à vivre de mon mieux et que dans n’importe quelle situation je pourrais me débrouiller toute seule, sans complications d’aucune sorte. Mais il faut bien l’admettre : je ne vaux guère plus que n’importe quelle autre fille déçue d’avoir été abandonnée par son homme ; je ne vaux rien, je ne sais rien faire, je ne peux me suffire à moi-même ; ma situation me semble si bête et ridicule que vous n’imaginez pas à quel point je m’exaspère et je me déteste. J’ai gâché le meilleur de mon temps à vivre aux dépens d’un homme, me contentant de faire ce que j’estimais bon et utile pour lui. Je n’ai jamais pensé à moi et, au bout de six ans, il me répond que la fidélité est une vertu bourgeoise, qui n’existe que pour mieux exploiter et tirer quelque avantage économique.
Je n’y ai jamais pensé en ces termes, croyez-moi, je veux bien admettre que j’ai été stupide, mais j’étais sincèrement stupide. J’imagine ou plutôt j’espère que je vais finir par réagir, j’essaierai d’avoir une nouvelle vie où je m’intéresserai à quelque chose qui m’aidera à me sortir intelligemment de tout ça. J’ai songé partir à New York pour aller vivre avec vous, mais je n’avais pas l’argent ; je crois qu’il vaudrait mieux étudier et travailler ici en attendant de pouvoir quitter le Mexique. Avec l’argent que Diego m’a laissé, j’ai acheté une maison à Mexico, plutôt bon marché, parce que je ne voulais pas retourner à San Ángel, où j’avais souffert à un point dont vous n’avez pas idée. À présent j’habite au n° 432 de l’avenue Insurgentes (écrivez-moi à cette adresse). Diego vient parfois me rendre visite mais nous n’avons plus rien à nous dire, il n’y a plus le moindre lien entre nous ; il ne me raconte jamais ce qu’il devient et il ne s’intéresse absolument pas à ce que je fais ou à ce que je pense. Quand on en est là, il vaut mieux larguer les amarres et c’est probablement la solution qu’il va choisir et qui sera pour moi une nouvelle source de souffrance, encore plus grande que l’actuelle, déjà indescriptible ; mais cela vaudra mieux pour lui, me semble-t-il, car je cesserai d’être un poids, comme
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