Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Lettres

Titel: Lettres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frida Kahlo
Vom Netzwerk:
n’ai pas peint, et je crois qu’il va se passer du temps avant que j’aille mieux et que je m’y remette. Les mois passent tellement vite, je ne crois pas que je pourrai finir à temps pour l’exposition de New York en janvier. J’ai écrit à Levy mais il ne m’a pas répondu, je ne sais même pas ce qu’est devenu mon tableau La Table blessée que Miguel a emporté pour le remettre à Levy. Je n’ai pas la moindre nouvelle de l’exposition. Quant à ce que tu me dis dans ta lettre, c’est très aimable mais quelque peu discutable, car malheureusement je doute que quiconque se soit intéressé à mes œuvres. Il n’y a d’ailleurs aucune raison pour qu’on s’y intéresse, et encore moins pour que je le croie.
    J’avais espoir que ça se débloque ce mois-ci pour la Guggenheim, mais pas une once de réponse et pas une once d’espoir. Quand j’ai su que tu détenais le premier autoportrait que j’avais peint cette année, à moins que ce soit l’année dernière, celui que naïvement j’avais porté chez Misrachi pour qu’il le fasse envoyer chez l’acquéreuse… bref, quand j’ai su que vous m’aviez trompée, Misrachi et toi, tendrement et charitablement trompée, et quand j’ai vu qu’il n’était même pas déballé, ce qui aurait partiellement adouci la supercherie, puisque, à te lire, tu l’avais échangé contre un de tes tableaux pour ne pas te retrouver sans même un portrait de moi, je me suis rendu compte de bien des choses. Heureusement qu’il y avait le portrait avec les cheveux, l’autre avec les papillons et celui-ci, ajoutés à ton merveilleux tableau de la petite fille endormie, celui que j’aimais tant et que tu as vendu à Kaufmann pour qu’il me donne l’argent   ; c’est grâce à eux que j’ai survécu l’année dernière et celle-ci. Autant dire grâce à ton argent. J’ai continué à vivre à tes crochets, en me faisant des illusions. Bref, j’en conclus que j’ai accumulé les échecs. Quand j’étais gamine, je pensais devenir médecin, jusqu’au jour où je me suis fait écrabouiller par un bus. J’ai vécu dix ans avec toi et, dans le fond, je n’ai fait que t’empoisonner la vie   ; je me suis mise à peindre mais ma peinture n’est bonne qu’à être achetée par toi, car tu sais pertinemment que personne d’autre ne le fera. Et maintenant que j’aurais tout donné pour t’aider, voilà que les vraies « sauveuses » sont d’autres que moi. Tu peux mettre ces réflexions sur le compte de ma solitude, de mon ras-le-bol et, surtout, de la fatigue intérieure qui m’anéantit. Et ce n’est pas un soleil, un gueuleton ou des médicaments qui parviendront à me guérir   ; mais je vais attendre encore un peu, pour voir quelle est la cause de mes états d’âme   ; malheureusement, je crois que je le sais déjà et qu’il n’y a aucun remède. Je me fiche bien de New York, et d’autant plus maintenant que je risque d’y croiser cette chère Irene et d’autres de son espèce. Je n’ai ni l’envie de travailler ni l’ambition que je souhaiterais. Je continuerai à peindre pour que tu voies ce que je fais. Mais pas question d’exposer. Je vais payer mes dettes avec mes tableaux, et ensuite, même si je dois bouffer de la merde, je ferai exactement ce dont j’ai envie et quand j’en aurai envie. Tout ce qu’il me reste, ce sont tes affaires tout près de moi et l’espoir de te revoir   ; ça me suffit pour continuer à vivre.
    La seule chose que je te demande, c’est de ne surtout pas me mentir, tu n’as plus aucune raison de le faire. Écris-moi autant que tu le pourras, essaie de ne pas trop travailler maintenant que tu vas commencer la fresque, prends bien soin de tes petits yeux, n’habite pas tout seul, histoire qu’il y ait quelqu’un pour s’occuper de toi et, quoi que tu fasses, quoi qu’il arrive, tu pourras toujours compter sur l’adoration de ta
    Frida
     
    Dis-moi ce dont tu as besoin d’ici, pour que je te l’envoie.
    Les enfants et Cristi te passent le bonjour.
    Je t’enverrai les autres reçus et des coupures de journaux.
    Je te supplie de ne pas laisser traîner cette lettre. Toutes celles que je t’avais envoyées étaient au milieu d’un tas d’autres, parmi des messages d’Irene et autres pouffiasses.
    Passe bien le bonjour à Ralph et à Ginette, au docteur Eloesser et à tous nos bons amis de San Francisco.

Lettre à Emmy Lou Packard (97)
    Miss Emmy Lou Packard
    C/O Stendhal

Weitere Kostenlose Bücher