Lettres
travaille vingt heures par jour, si ce n’est plus. Avant d’arriver à San Francisco, il a passé un sale moment à Mexico et il a finalement dû quitter le pays dans des circonstances vraiment pénibles (tout ça à cause de problèmes politiques là-bas). J’espère donc que tu auras la gentillesse de comprendre et d’essayer de le pardonner.
Je suis arrivée à New York il y a quelques jours. Je devais préparer mon exposition pour l’année prochaine. J’ai voulu t’écrire chaque jour mais, pour une raison ou pour une autre, je n’ai pas pu. Je suis hébergée par des amis, M. et M me Sklar, qui ont eu l’amabilité de m’inviter chez eux pour quelque temps. J’espère que j’aurai l’occasion de voir Alberta, ainsi que toi et Mme Firestone, si c’est possible. J’ai entendu dire que Natalie était à Hollywood. Je pense que je vais rester ici encore deux semaines.
Avant de venir aux États-Unis, il y a un mois et demi, j’ai été très malade à Mexico. J’ai passé trois mois clouée au lit avec un corset en plâtre et un appareil atroce dans le cou, qui me faisait souffrir le martyre. À Mexico, tous les médecins m’ont dit que je devais me faire opérer de la colonne vertébrale. Ils avaient tous diagnostiqué une tuberculose dans les os, à cause d’une vieille fracture due à un accident de la route. J’ai dépensé tout l’argent que j’avais économisé pour aller consulter chaque spécialiste des os sur place, et ils m’ont tous tenu le même discours. J’ai eu tellement peur que j’ai bien cru que j’allais y passer. En plus, j’étais folle d’inquiétude pour Diego, parce que, avant qu’il ne quitte le Mexique, je n’ai pas su où il était pendant dix jours ; peu après, il a pu partir, il y a eu la première tentative d’assassinat de Trotski, ensuite il s’est fait tuer pour de bon. Je ne peux pas te décrire ce que j’ai enduré, physiquement et moralement. En trois mois, j’ai maigri de 15 livres, j’étais au trente-sixième dessous.
J’ai finalement pris la décision de venir aux États-Unis et de ne pas tenir compte de ce que m’avaient dit les médecins mexicains. Je suis donc arrivée à San Francisco. Là-bas, je suis restée plus d’un mois à l’hôpital. Ils m’ont fait passer tous les examens possibles et imaginables et ils n’ont pas trouvé de tuberculose, donc pas besoin de me faire opérer. Tu peux imaginer comme j’étais heureuse, quel soulagement. En plus, j’ai vu Diego et ça m’a aidée plus que tout. Sache que ce n’est pas vraiment ma faute si je n’ai pas eu un comportement correct vis-à-vis de toi. Je sais que j’aurais dû t’écrire en temps voulu et te donner des explications à propos du tableau. C’est d’abord la situation dans laquelle je suis qui m’a empêchée de penser et d’agir convenablement.
On m’a trouvé une infection au rein, dont la conséquence est une terrible irritation des nerfs le long de ma jambe droite, ainsi qu’une très forte anémie. Ça n’est pas très scientifique, comme explication, mais voilà ce que j’ai déduit de ce que les docteurs m’ont dit. Quoi qu’il en soit, je me sens mieux et je peins un peu. Je vais rentrer à San Francisco et me remarier avec Diego. (Il me l’a demandé parce que, d’après lui, il m’aime plus que nulle autre femme.) Je suis très heureuse.
Sigy, je voudrais te demander un service. J’espère que ça ne t’embêtera pas trop. Pourrais-tu m’envoyer les 100 dollars restants pour mon tableau ? Ils me font cruellement défaut. Je te promets que, dès que j’irai à San Francisco, je ferai en sorte que Diego t’envoie son autoportrait. Je suis persuadée qu’il le fera avec grand plaisir, ce n’est qu’une question de temps ; dès qu’il aura terminé la fresque il aura plus de temps pour te peindre ce portrait. Nous allons être à nouveau ensemble et tu nous auras tous les deux dans ta maison . Je t’en prie, excuse-le, excuse-moi d’être comme nous sommes. Nous ne cherchons à blesser personne.
Auras-tu l’amabilité de le faire ? S’il te plaît, dis-moi comment je peux me mettre en contact avec Alberta. Mon adresse est 88 Central Park West, c/o Mrs. Mary Sklar.
Je te remercie de ta gentillesse, tu es si bon avec moi. Transmets mon affection aux filles et à Mme Firestone. Besos* à vous tous de votre amie mexicaine.
Frida
* Bises.
Message pour Diego Rivera
San Francisco, novembre 1940
Diego,
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