Lettres
qu’il vaudrait mieux qu’il prenne ses cliques et ses claques lui aussi, vu que, après lui avoir réglé les quatre mois pendant lesquels il va rester, conformément à tes ordres, il faudra lui en verser trois de plus pour ses beaux yeux, alors autant les lui donner tout de suite, parce que je ne vais pas le supporter bien longtemps. Je vais faire couper le téléphone de la grande maison ; dis-moi si tu t’es arrangé avec Mary pour qu’elle paie l’électricité, le téléphone et l’eau de la petite maison, et si c’est à moi de payer les charges. Jusqu’à présent, elles ont payé toutes leurs factures en temps et heure.
Le tableau de la Maja a été emballé et déposé chez Alberto fils ; pourvu qu’il se bouge un peu les fesses et qu’il l’envoie bientôt, car tu n’as pas idée du genre de fils de… qu’est cet Alberto. Il nous traite, Cristina et moi, comme deux pauvres clochardes pendues à ses basques. Je suis même tentée de sortir ce qu’il reste de blé pour ne pas avoir à quémander des miettes auprès de ce connard qui pète plus haut qu’il n’a le derrière.
Je te ferai envoyer au plus vite le Sahagún, de même que les photos de Detroit, des usines et des fresques ; laisse-moi juste une journée pour les chercher. Aujourd’hui j’ai à peine pu sortir de mon lit, je me suis payé un mal de dos qui m’en a fait voir de toutes les couleurs et Federico (96) m’a fait garder le lit pendant toute une journée. Je vais mieux et je ferai tout mon possible pour que tout te parvienne à temps.
Tes petits animaux vont bien. La petite chienne toute riquiqui, le perroquet et le raton laveur sont avec moi, les teckels et l’âne sont chez Arámburo, j’avais laissé la guenon à San Ángel mais Mary n’en veut pas si Manuel ne reste pas, donc je vais la ramener ici.
En dehors d’Arámburo et de Ch., tout le monde me traite comme un détritus depuis que je n’ai plus l’honneur de faire partie de l’élite des artistes célèbres et surtout depuis que je ne suis plus ta femme. Mais comme le dit si bien Lupe Rivas Cacho, ça va ça vient, les uns montent et les autres descendent, c’est ça la régolution… Ces enfoirés de Carlos Orozco Romero et sa bande, tous les « propres sur eux » de Mexico, et toutes ces dames qui collaborent avec la Croix-Rouge pour aller tortiller du cul le long des rues (sans certificat médical en bonne et due forme), quand ils me croisent au détour d’un trottoir, ils ne daignent même pas m’adresser la parole, ce dont je leur suis d’ailleurs reconnaissante. Je ne vois personne et, surtout, je ne verrai plus jamais ces sales fils de p…, snobs et lèche-cul. La situation évolue à grands pas et voilà qu’à présent les deux que le « peuple » a élus pour nous gouverner… sont des antifascistes et antistaliniens de première. Il faudra bien qu’un jour ils reconnaissent que le seul à avoir osé dire les quatre vérités au nez et à la barbe de tous, c’est toi. Quoi qu’il en soit, toutes mes félicitations pour la volée de bois vert que ne manqueront pas de recevoir les pauvres susdites grâce à tes efforts acharnés et sans ménagement.
Je voulais aussi te demander comment tu as réglé ou comment tu comptes régler la question des sommes dues à Guadalupe Marín. Comme tu le sais, elle est parfaitement capable de faire saisir tes maisons ou je ne sais quoi d’autre pour être payée coûte que coûte. Une fois pour toutes, prends tes dispositions pour qu’elle n’essaie pas de te jouer un sale tour, car si son sale petit trafic n’a pas marché à New York, elle va débarquer avec son dard gorgé de venin. Encore que je ne serais pas étonnée qu’elle aille te rendre une petite visite là-bas dans le West pour régler verbalement un certain nombre de choses, et que toi, naturellement, accablé par la peur, tu cèdes à ses propositions, à ses menaces, etc. C’est la saison des trahisons, petites et grandes. Tu sais mieux que personne que Guadalupe est une authentique marie-salope, comme si Mussolini en personne l’avait mise au monde. Alors je préfère te prévenir, on verra bien si pour une fois tu m’écoutes.
À présent je vais te parler de moi, comme tu me le demandes dans ta lettre. Inutile d’en dire long. Tu es parfaitement au courant. Il n’est pas de mots pour décrire ce que j’ai souffert, d’autant plus maintenant que tu es parti. Ces derniers jours, ou plutôt semaines, je
Weitere Kostenlose Bücher