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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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ses compagnes, l’air douloureux, s’empoigna le ventre et s’en alla, trottant, gémissante et courbée, vers l’ombre du dehors.
    Bernard Marti, Péreille et sa famille laissèrent là leurs gens et franchirent le seuil du donjon dans l’envahissante lueur d’une paire de torches portée par un jeune parfait. Alors les regards s’illuminèrent dans la cour délivrée de leur présence, les corps se délièrent, et tous, laissant aller leur bonheur étonné, s’égaillèrent en petits groupes pour commenter la nouvelle. Partout ne furent bientôt que pépiements, grosses voix satisfaites, étreintes, fiertés guerrières, allées et venues vives. Une femme longue et maigre se prit à rire à grands cris de poule égorgée après que Mathias l’Arquet, hissé sur la pointe des pieds, eut dit à son oreille une galanterie de petit homme. Elle le repoussa, jouant les prudes, puis revenant à lui les yeux étincelants elle le mit au défi, puisqu’il se sentait de belle humeur, d’improviser quelques quatrains sur la prochaine entrée en enfer des juges inquisiteurs de Toulouse. Mathias, qui depuis la mort de sa Raymonde cherchait une paillarde d’assez bon cœur pour aimer aussi son marmot, tendit à la grande perche ses paumes ouvertes comme s’il lui offrait la mélopée fort incertaine aussitôt jaillie de sa gorge et se mit à braire une longue diatribe en vers boiteux et rimes pâles. Les gens firent cercle autour de lui, s’amusant fort de ses mines de pitre et approuvant hautement les naïvetés ordurières et obscénités sodomites dont il accablait les dépouilles imaginées de ces clercs de haut vol si longtemps redoutés. On se prit à battre des mains, à frapper le sol du talon et à chanter avec lui, à mener tapage de fête.
    Seules, Jeanne, Béatrice et quelques épouses de sergents restèrent en groupe serré contre le pilier de la forge à parler de leurs inquiétudes rassurées, du peu de danger que couraient leurs hommes et de leur retour probable avant deux nuits. S’exaltant à voix menue elles en vinrent à peser leurs chances de revoir bientôt leurs villages, leurs vignes, leurs marmites et leurs coins de feu, s’il était vrai que l’on n’aurait plus à craindre les gens d’Église et leurs tribunaux qu’elles ne pouvaient encore évoquer sans effroi. Une femme de Revel, émue aux larmes, s’inquiéta même de l’état de sa maison depuis un an abandonnée et du ménage qu’il lui faudrait y faire, car nul n’y avait vécu après elle. Béatrice, radieuse et butée, affirma que si Dieu voulait elle se faisait fort d’épouser Thomas, au Villar, avant la Saint-Michel de septembre. Elle se tourna vers Jeanne, prit sa main.
    — Tu y viendras, dit-elle.
    Jeanne lui sourit pauvrement et ne sut lui répondre. Tout à coup désemparée elle découvrit qu’elle avait laissé Vendines comme on se défait de l’adolescence, à peine quittée, déjà pour toujours étrangère, et qu’elle n’avait désormais d’autre lieu où se trouver heureuse que dans le cœur d’un homme insaisissable et dans l’enfantement d’un être qu’elle devrait bientôt sans cesse rassurer, elle qui n’était sûre de rien. Dans la confusion où elle était, l’espoir lui vint que Bernard Marti pourrait peut-être la secourir. Il connaissait bien Jourdain. Le vieil homme devait être dans sa cabane à cette heure, elle l’avait vu sortir du donjon et quitter le château quand Mathias l’Arquet s’était mis à chanter. Mais comment aller l’importuner avec ses misères de femme, lui qu’elle avait vu tout à l’heure si rudement déchiré entre terre et ciel et si seul devant ces innocents qu’émerveillaient des meurtres ? Elle dit à ses compagnes qu’elle avait froid, serra son châle sur sa poitrine et s’en alla seule.
    Marti entendit son pas léger s’approcher sur le sentier. Il avait décidé de ne point dormir jusqu’au retour des hommes. La fatigue brûlait ses yeux. Il sentit pourtant, écoutant s’éloigner cette vie qui venait d’effleurer sa porte, qu’au fond de lui était un être qui savait faire cela : passer, traverser les souffrances en visiteur du monde, marcher, furtif et sûr, vers d’infinis mystères, sans s’arrêter jamais.
     
    Dans la cour du hameau Pierre vint à Jourdain qui contemplait au bout de l’aire le bois peuplé de chants d’oiseaux. Une chèvre à côté broutait les feuilles d’un buisson, sous elle son chevreau lui tétait

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