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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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le visage enfoui dans les débordantes tripailles de son compère. Il compta deux, s’avança prudemment dans le carnage. Une torche passante éclaira sur un mur de grands saints enluminés aux figures impassibles. Devant ces êtres peints il devina un corps jeté au travers d’une paillasse rouge. À son crâne rasé qui pendait sur le carrelage il reconnut Aymar, le vieil appariteur, compta trois, fouina encore, découvrit Fortanier tout sottement assis contre la cheminée. Il n’avait point de blessure apparente, mais dans son abandon d’ivrogne repu son nez saignait un peu, sa langue était sortie et ses yeux révulsés regardaient ses dedans. Près de lui était Pierre Julia le notaire, enfoncé de guingois dans la bouche d’ombre où rougeoyaient des braises, la poitrine empalée sur un chenet pointu. D’Alfaro compta quatre et cinq. Sous l’étroite croisée baignée de nuit tranquille le cadavre blafard du frère Carbonnier, environné de duvets d’édredon, bascula d’une couche, poussé par un soudard qui brandit aussitôt une sacoche trouvée sous l’oreiller. Il compta six. Il dit :
    — Je ne vois pas Bertrand, le clerc de l’archidiacre.
    La tête haute il s’avança à sa recherche, trébucha contre un pied, s’écarta vivement et l’aperçut enfin. Le garçon était près de la porte, la joue posée dans un pli de tenture. Il tenait par le manche un poignard dans son cœur. Il avait voulu fuir. Lui seul semblait souffrir au-delà de la mort. Il était tout jeunot, frisé, l’air d’un bon rustre. Monseigneur d’Alfaro se pencha sur son corps, esquissa un signe de croix, et se redressant :
    — Sept, dit-il à Jourdain. Avec Escriban, Saint-Thibéry et ce velu d’Arnaud, dix. C’est bien. Allez-vous-en. Emportez les registres, n’en laissez pas traîner. Moi, je pars pour Toulouse. Il faut que l’on me voie tout à l’heure à la messe.
    Il tourna les talons, épousseta ses manches et s’en fut, le pas sonnant. Les hommes maintenant partout fouillaient et renversaient les armoires béantes, les coffres, les bahuts, les malles, les écritoires et les sacs de cuir lancés aussitôt vides au travers de l’air sombre. Des torches s’assemblèrent au milieu de la salle où régnait une chaleur de four. Dans leur lumière accoururent des sergents chargés de livres et de grands cahiers qu’ils entassèrent pêle-mêle dans un drap étendu sur d’informes reliefs, puis deux écuyers déployèrent une couverture et par brassées cliquetantes d’autres hommes venus des profondeurs obscures y jetèrent en hâte des bourses, des ceintures, des gobelets d’étain, des bottes et des boîtes, des chaînes, des bagues et des chandeliers.
    Du seuil où il était, Jourdain appela rageusement ses gens. Un seul lui obéit, mit sa hache à l’épaule et sortit posément sans regarder derrière. Dans un regain de chocs et de tintements de clinquailles les autres précipitèrent leur besogne, puis nouèrent les coins des ballots et traînèrent leur butin dehors parmi les coulées de sang et les débris épars qui encombraient le dallage, tandis qu’une insatiable arrière-garde s’obstinait dans les recoins, dispersant à coups de pied les paillasses et les ruines de meubles dans l’espoir d’un dernier objet désirable. L’un de ces enragés s’en revint tout rieur avec un petit chat au chaud de sa tunique. Ceux qui étaient restés après lui à errer dans la salle abandonnèrent leurs cassements et s’empressèrent à ses côtés, riant aussi, enviant sa trouvaille et d’un doigt timide caressant entre les oreilles la bestiole tremblante aux grands yeux étonnés. Jourdain leur ordonna de se presser, mais comme ils ne l’écoutaient point il vint à eux, prit sa torche au malfrat qui marchait le premier et les aiguillonnant à coups de bâton ardent il les précipita dans l’obscurité de l’étroit colimaçon où cascadaient bruyamment les ballots. Demeuré seul, il s’en retourna à l’entrée de la chambre. Tout y était obscur, sauf la trouée de la fenêtre par où entrait la nuit. Le silence lui parut étrangement parfait et reposant. De l’encadrement de la porte il contempla un moment les ténèbres, puis prit un souffle brusque et dit à haute voix :
    — Que Dieu nous garde tous dans Sa main, vivants autant que morts. Qu’Il nous donne l’amour qui tant nous manque. Qu’Il nous délivre du mal qui tant nous pèse. Ainsi soit-il.
    Il tourna les talons et

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