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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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piaillaient des bénédictions, les seins hors des chemises et les bras ouverts aux gaillards à cheval. Comme ils arrivaient, suants et tiraillés, sur la petite place à mi-chemin, un envol de vivats salua des hommes sans chausses occupés à pisser contre le Christ en croix. Au-delà de cet espace, tandis que des garçons armés de frondes lançaient des cailloux aux volets encore clos, un vieux vêtu d’un sac, timidement poussé par sa commère, vint au-devant du cortège, et comme s’il offrait à Dieu la coupe sainte tendit un bol de lait au chef de ces routiers sanglants que l’on fêtait comme des sauveurs. Jourdain ne fit pas un geste pour le prendre. Il vit briller des larmes heureuses dans les yeux du vieillard, perçut quelques bouts des mille grâces que balbutiait sa bouche édentée. Il passa, et l’humble bonhomme disparut dans la houle des corps et des visages.
    Les courses peu à peu se firent plus furtives, les lumignons plus rares, les cris plus solitaires. Bientôt ne furent devant les soldats harassés que quelques jeunes gens sur des ânes trottants, des chèvres égarées, des volailles envolées des persiennes. Parmi ces ombres clairsemées la troupe galopa jusqu’à la porte du village. Entre les deux tours rustiques, immobile au beau milieu du passage, attendait un cavalier plus haut que tous. C’était Pierre. Il ne questionna point.
    — C’est fait, dit Jourdain.
    Son frère d’armes désigna le ciel où tintaient encore les cloches et répondit :
    — J’entends.
    Ils allèrent côte à côte, sans un mot, jusqu’au-delà des jardins. Au bord de la première friche ils firent halte et attendirent leurs hommes. Dès qu’ils furent tous autour d’eux, Pierre demanda qu’on lui amène le butin. Un écuyer s’approcha de lui parmi les murmures et les grondements et dit piteusement qu’il en avait eu la charge, mais que la couverture où l’on avait tout entassé s’était ouverte sur la croupe de sa bête, et qu’il avait perdu jusqu’au plus petit sou dans la foule de la ruelle. Comme ses compagnons laissaient aller leur rage et protestaient qu’il fallait retourner chercher ce qui leur était dû, Jourdain, la figure offerte au ciel, partit d’un grand rire silencieux. Pierre gronda :
    — L’un de vous au moins m’a-t-il ramené la belle coupe que je veux offrir à mon frère Du Villar ?
    Dans un remuement lourd de corps et de montures fut désigné le sergent qui avait fendu le crâne de Guillaume Arnaud.
    — Je n’ai pas pu la prendre, monseigneur, elle était brisée, dit l’homme.
    Jourdain brusquement tourna bride et s’en alla sur le chemin large. Thomas le voyant s’éloigner poussa son cheval à sa poursuite et bientôt le rejoignit. Un moment ils allèrent le long des herbes déjà luisantes de rosée, muets et délivrés du monde dans la fringante fraîcheur de la nuit. Ils cheminèrent jusqu’à s’enfoncer sous une voûte feuillue qui menait au gué d’une rivière. Là ils s’arrêtèrent et attachèrent leurs montures à un arbre penché au-dessus de l’eau d’où soudain s’envola dans un froissement d’ailes un grand oiseau indiscernable. À peine le silence revenu, ils entendirent loin derrière sur le sentier des piétinements désordonnés, des éclats de disputes, des appels, des hennissements de bêtes harcelées. Jourdain s’assit sous les branches. Thomas s’en fut prendre des gourdes qui pendaient aux harnais. Comme il s’accroupissait sur la rive pour les remplir, un galop furibond monta vers eux du fin fond des ténèbres. Jourdain tendit l’oreille et sut que c’était Pierre. D’aussi loin qu’il se souvienne, il avait toujours reconnu les bruits et les rythmes de ses chevauchées aussi infailliblement que les claquements de ses pas, où qu’ils se trouvent, en guerre comme en paix. Il sourit, pensant cela, le cœur poigné de mélancolie lourde.
    — Voilà bien le moment de jouer à l’ermite, tonna dans l’ombre le grand diable. Les hommes tremblotent et renâclent comme s’ils revenaient de se faire étriller. Sanglants comme ils sont tous, ils ont grand-peur du jour. Viens donc m’aider à leur chauffer le dos, sacredieu !
    — Conduis-les jusqu’ici et rebaptise-les, lui répondit Jourdain, perdu dans les reflets dorés sur l’eau mouvante.
    L’autre hésita, grogna, fit tournoyer sa bête, et la débridant d’une claque en croupe il s’en revint à ses soldats.
    Tous furent bientôt sur la

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