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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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descendit l’escalier en s’efforçant de ne point se hâter, par souci de dignité dans le dégoût sévère où remuait son cœur. Il sortit. La brise du verger lui fut si délicieuse que son âme perdue lui parut être revenue dans son corps. Il brida le sentiment de délivrance qui l’envahissait, suivit à pas mesurés les ombres de ses hommes qui couraient à la poterne. Comme il cheminait sous les arbres fleuris, il se trouva pris d’inquiétude à la pensée de ce désordre obscène où il avait laissé les clercs. « Nous aurions dû les porter au cimetière, les enterrer proprement et faire bénir leur tombe par un prêtre, se dit-il. Au moins ainsi aurions-nous pu garder l’espoir de n’être pas des porcs définitifs. »
    Il franchit l’ouverture enfoncée dans le rempart. Un allègre tintamarre de cloches carillonnantes aussitôt dégringola du ciel, tandis qu’à quelques pas sur l’aire pavée quatre torches embrasaient l’amas de registres mêlés de chiffons tachés d’encre et de planches à écrire. Les flammes se ruèrent haut dans la nuit, illuminant les soudards débraillés et maculés comme des bouchers à l’abattoir. Parmi les sonnements, les ronflements du feu et les clameurs de la troupe, Jourdain vit Thomas l’Écuyer courir vers lui, l’air égaré, semblable à un enfant à bout d’attente inquiète.
    — Mon maître, partons vite, dit le garçon, tout haletant. Golairan et ses veilleurs courent partout dans le village. Ils bastonnent les portes, ils cassent les volets, ils rameutent les gens.
    Puis ébahi, contemplant sa figure :
    — Comme vous êtes pâle, mon Dieu, comme vous êtes pâle ! N’êtes-vous pas blessé ?
    L’autre le rassura d’un sourire contrit. Thomas resta encore un moment indécis, les yeux emplis d’affection secourable, puis il lui prit la main et brusquement l’entraînant à toute force il lui fraya un chemin jusqu’à l’entrée de la rue. Là il lui désigna dans la descente entre les maisons noires d’innombrables lumières de chandelles qui des tréfonds montaient vers eux. Ils s’en retournèrent aux hommes qui braillaient et riaient dans les crépitements de l’air enflammé et bondissaient au travers des fumées hautes, comme l’on fait à la Saint-Jean. Ils les poussèrent aux chevaux. Seul au bord du brasier un sergent s’attarda. Il ramassa deux livres épargnés par l’incendie, examina leur reliure de bois peint, les glissa entre ventre et ceinture, puis trotta vers Jourdain qui montait en selle et lui dit :
    — Mazerolle ne revient pas à Montségur. Il part pour Toulouse. Il compte bien se faire engager dans la milice de monseigneur Raymond.
    Jourdain se pencha sur ce routier bedonnant que l’on raillait sans cesse comme un étrange fou parce qu’il parlait de lui, toujours, comme d’un autre. Il lui serra l’épaule et répondit, tandis que redoublait l’assourdissant vacarme des cloches sur leurs têtes :
    — Va si tu veux mais prends garde. Ne te vante de rien, ne te fie à personne, et surtout lave-toi, sinon tu seras pris avant qu’il soit longtemps.
    Il éperonna sa monture et poussant droit parmi les braises et les cendres qui s’envolaient déjà sous la brise en tête de la troupe il s’engouffra dans les ténèbres pentues de la longue ruelle. À peine y était-il que de jeunes villageois vinrent à lui et se mirent à marcher à ses côtés le long des façades en se disputant le privilège de se tenir au plus près de ses harnachements. D’autres bientôt sortirent des maisons et de l’obscurité des venelles voisines. Avec ceux qui montaient à leur rencontre en brandissant des lanternes ils encombrèrent tant le passage que les cavaliers, avant même d’être parvenus au premier carrefour, se trouvèrent environnés par mille bras tendus, mille menues lumières et cris mêlés d’alléluias.
    Ils ne cheminèrent alors qu’à grand-peine parmi les fuites d’enfants nus en bandes agiles, les filles qui tentaient de grimper en croupe derrière les sergents, les courses, les chants et les danses qui ne voulaient pas se défaire devant la chevauchée. Un moment leur ouvrirent commodément la route trois pitres à la poitrine fière portant à bout de bras en guise de bannières des haillons noués à des manches de pioches, mais leur avancée fut brève, car ces pendards après quelques pas braves se mêlèrent à la foule assemblée sous les lucarnes d’étage où des femmes

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