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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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affectueuses il décida brusquement de poursuivre sans lui. En deux enjambées il fut à son côté et lui demanda à quel étage de la bâtisse était la chambre des moines. L’autre, sans se préoccuper de lui répondre, murmura contre la joue de son nabot que rien n’était plus à craindre puisqu’il était revenu, puis il le déposa sur l’herbe et lui ordonna bonnement d’aller jeter quelques viandes aux chiens. Après quoi il se redressa et dit, la mine hautaine :
    — Vous voilà bien tourmenté, messire du Villar. On m’avait affirmé que vous étiez le plus sûr et le plus aimable des hommes. Je crains qu’on ne vous ait flatté. Allons, rien ne presse. Nos clercs dorment. Et ne dormiraient-ils point, qu’importe, ils ne sont armés que de crucifix.
    Il reprit son chemin parmi les arbres, traversa un bref espace découvert où était un puits environné de rosiers, entra dans le donjon aussi tranquillement que s’il allait à son repos et se mit à gravir un escalier de pierre aux marches hautes. Des torches brûlaient contre la muraille. Il les ôta, les tendit aux hommes qui montaient après lui. Sur le palier de l’étage il désigna une épaisse porte voûtée. Jourdain prit rudement deux porteurs de torches par les cols et les tira devant.
     
    Le premier coup porté résonna comme dans une église. Le deuxième fit trembler les gonds, ébrécha le mur, et dans un craquement d’arbre mort abattit sur le pavement de la chambre une planche hérissée d’échardes et de clous. Le troisième arracha ferrures et verrous. La ruée des bottes fracassa le battant dans l’obscurité du dedans. Une chaude bouffée de dortoir confiné envahit le seuil où Jourdain et d’Alfaro étaient restés à pousser les hommes. Comme le dernier pénétrait dans la salle déjà traversée en tous sens par des lumières fauves et des ombres immenses, un Te Deum soudain puissamment s’éleva et rebondit aux murs, multipliant les voix, effraya les flambeaux tout à coup indécis, s’engouffra dehors sous la voûte, emportant dans son envol impétueux et sombre les bruits de croix ferrées, d’ustensiles brisés, d’éperons sur les dalles, et les cris égarés lancés de-ci, de-là. Les moines en chemise parmi les corps mouvants des soudards étaient tous à genoux, chacun près de son lit, dans le désordre des couvertures et des matelas foulés. Tous, les mains jointes et les yeux grands ouverts, semblaient contempler la magnificence de Dieu au plafond où bougeaient de vagues rousseurs de feu. Guillaume Arnaud dénudé jusqu’au ventre ouvrit les bras aux éclairs de lame qui hésitaient au-dessus de sa tête. Jourdain vit son visage empreint d’une sauvagerie tant extasiée qu’il sentit son âme, dans un frémissement insupportable, s’enfuir de lui. Il resta pétrifié, le corps insensible, l’esprit comme une tombe vide.
    — Voyez, du Villar, oh ! voyez comme ce saint homme est velu de la poitrine ! dit d’Alfaro à son oreille.
    Jourdain le regarda d’un coup de tête sec, voulut parler, ne put, se tourna vers la salle et se mit à hurler à s’arracher la gorge.
     
    Alors se fit un tumulte de bêtes fauves brusquement débridées. La hache s’abattit sur le crâne d’Arnaud. Il tomba de côté, fendu jusqu’aux épaules, souillant de cervelle et de sang le blond Saint-Thibéry qui soutint ce bouillonnant cadavre contre lui, d’une étreinte aimante et simple, sans que tremble son chant nasillard. Une gifle d’épée éberlua sa face et de son cou jaillit un jet tout raide et pourpre. Le cantique se perdit en égosillements, fracas, piétinements, râles mourants.
    — C’est bien, garçons, c’est bien, répétait d’Alfaro, captivé par les courses au travers des décombres mais reculant d’un pas au moindre effleurement.
    À Jourdain il désigna l’archidiacre Escriban, cloué sur une table un couteau en plein cou, les bras en croix sous un linceul de parchemins épars. Il hocha la tête, l’air satisfait, puis fronça les sourcils et se prit à examiner les pénombres lointaines et à compter sur ses doigts les cadavres des clercs illuminés par les errances des flambeaux. Au pied d’un lit brisé lui apparurent Garsias d’Aure et Bernard de Roquefort, tous deux nus et grotesquement affalés dans des lueurs ruisselantes, l’un couché sur le dos, grosses cuisses ouvertes, et l’autre agenouillé près de lui, son maigre cul offert aux reflets des flammes fugaces et

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