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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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bien-être, Dieu garde ! mais pour celui d’un tyran qui ne méritait pas son constant dévouement. Sicard cogna le sol du talon, brandit le poing, gronda :
    — Va chercher messire Jourdain, malandrin !
    Et comme l’autre trottait déjà au travers de la salle en appelant sur lui la miséricorde du ciel :
    — Prends une arme, tudieu ! N’avons-nous pas assez d’un cadavre aujourd’hui ?
    La porte claqua sec. Le feu jaillit soudain des bûches, en flambée vive.
    Quand Peignon s’en revint avec « messire cousin » il se tint un moment pantois devant les flammes hautes puis, les bras ballants, leva vers Sicard sa figure tout entière empreinte d’époustouflement. Le vieil homme cligna d’un œil, l’écarta de son chemin avec une douceur négligente, prit aux épaules son jeune parent, le fit asseoir sur un petit banc où étaient quelques livres, prit place à son écritoire et dit, joignant les mains :
    — Te voilà prisonnier, mon fils. Que Dieu t’assiste.
    — Prisonnier ? Je ne le fus jamais, lui répondit Jourdain, puissamment ramassé. Dites-moi qui me tient.
    — La ville, dit Sicard, ouvrant les bras à l’évidence. On ne touchera pas un cheveu de ta tête tant que tu resteras sagement dans nos murs. L’évêque du Falgar et le comte Raymond se disputent ces jours l’alliance des consuls. Donc ils ne feront rien qui puisse me déplaire. Mais la mort de Sougraigne est pour qui sait entendre un message limpide. Ce que tu as appris ne doit pas sortir de Toulouse.
    Il se tourna vers Peignon qui lui agaçait les oreilles à aiguiser sa dague sur la pierre de l’âtre, fit la moue, revint à son cousin, et soudain délié comme s’il pesait des péchés accessoires :
    — Le meurtre de ton homme n’est guère dans les manières de notre pasteur. Il préfère, s’il peut, acheter les silences. Le comte est plus brutal. L’impatience et la peur l’aiguillonnent sans cesse. Nul doute qu’il t’ait fait surveiller, depuis que te voilà l’ami de sa famille. Il aime fort son Jacques, je crois, mais d’affection hargneuse et jalouse à l’excès. À ce que l’on m’a dit, monseigneur d’Alfaro t’a reçu ces jours-ci et t’a parlé longtemps.
    Il se tut, examina son hôte, vit son front tourmenté, son regard noir, rogneux. Il ajouta, ronronnant presque :
    — Que t’a-t-il donc conté ?
    Jourdain, rétif, remua sur son siège.
    — Il m’a dit, mon cousin, marmonna-t-il enfin, que votre saint évêque n’avait point empêché le massacre d’Étienne de Saint-Thibéry et de Guillaume Arnaud, bien qu’il eût pu le faire.
    Il redressa la tête, ricana sombrement :
    — Qu’en pensez-vous ? De tous les stratèges et jongleurs de vies qui peuplent les palais de cette ville, ce vieux fauve mitré n’est-il pas le plus énormément ignoble ?
    — Il savait donc ? lui répondit Sicard avec empressement, la mine émoustillée, l’œil tout à coup gourmand. Qui l’avait informé ? D’Alfaro, à coup sûr. Oh ! la grande nouvelle ! L’évêque a donc voulu la guerre, lui aussi. Diable d’homme !
    Il se prit doucement à rire, l’air méditatif, goûtant comme du miel des pensées vagabondes. Jourdain le regarda, sentit monter en lui une étrange tristesse.
    — Pourquoi ? dit-il d’un souffle à peine perceptible.
    C’était une question venue du temps d’enfance où il jouait, fiérot, au jardin du Villar avec ce parent de son père considéré par tous comme le plus savant et le plus généreux parmi les gens de robe de la grande ville. Il avait voué une admiration infinie à cet homme qui souillait là ses souvenirs à se vautrer sans pudeur, devant lui, dans le bonheur le plus cynique du monde, tandis que son Peignon, courbé sur son couteau, nasillait près du feu une chanson geignarde.
    — Pourquoi n’a-t-il rien fait pour sauver ses compères ? répondit Sicard, s’éveillant en sursaut de sa rêverie. Pour quelques raisons froides et simples comme l’eau.
    À nouveau il croisa les doigts sur l’écritoire, et comme l’on s’engage en conférence docte autant que passionnée :
    — Qui sont donc aujourd’hui, dit-il, les maîtres des paroisses, les gouverneurs de Dieu, les indiscutables gardiens de la croyance juste ? Les clercs inquisiteurs, mon fils, personne d’autre. Le pouvoir, de nos jours, dans la ville et l’Église, est tout entre leurs mains. Les évêques ? Ils n’ont rien. Les ors, les processions, le train

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