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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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des grandes pompes. Fausse gloire. Broutilles. Notre Jean du Falgar n’était certes pas homme à se contenter de hochets, d’autant que même lui risquait à tout instant, s’il ne suivait pas droit la route, de voir Guillaume Arnaud, qu’il haïssait pis que le diable, lui mordre les mollets. Il a longtemps lutté, souvent écrit au pape pour que soit allégé le poids exorbitant de ces dominicains pointilleux et féroces partout assis sur ses domaines. Il n’est pas parvenu à se défaire d’eux. Et voilà qu’on les tue dans un village impie, une nuit, loin de lui, sans qu’il y puisse rien. C’est un bien grand malheur, mais quoi, le ciel décide. Leur charge, leurs pouvoirs ? Qu’on ne s’en soucie point, il les prendra sur lui. Leur siège aux tribunaux ? Il l’occupera seul, avec l’humilité qui sied aux bons apôtres. Sache bien ceci, mon cousin : ce que son art, sa ruse et son obstination n’ont pu lui obtenir en dix ans de disputes, quelques chiens égarés par des espoirs absurdes en un seul soir béni l’ont porté à ses pieds. Le voilà désormais sans partage le maître de l’Église en pays toulousain. En outre lui est fait un cadeau mirifique : deux martyrs de la foi catholique, deux clercs assassinés au service de Dieu, deux saints tout neufs ! Quel marchepied, Seigneur, pour se hisser sur les hauteurs de la gloire ! Je gage que bientôt les Français en troupe épaisse marcheront sous sa houlette sus à Montségur, point pour que notre évêque y remercie tes frères d’armes qui l’ont si puissamment aidé, mais pour qu’un grand brasier sur la belle montagne illumine sa face et le désigne à tous comme le conquérant du dernier réduit hérétique. Que pourra dire ou faire le comte de Toulouse contre cette croisade probablement décisive ? Rien. Il la suivra peut-être. Ou peut-être restera-t-il dans son palais à maltraiter ses serviteurs, comme font les mauvais vaincus. Il a joué faux, mon cousin, il a joué faux. Et moi, parbleu ! je sais enfin de quel côté pencher.
    — Vous voilà donc content, dit Jourdain à voix lasse.
    — Certes, répondit l’autre. J’hésitais à choisir entre Rome et Toulouse. Je craignais de mal faire.
    — Sicard, vous m’effrayez.
    — Pourquoi donc, mon cousin ?
    — Je ne sais, dit Jourdain. J’ai comme un mal sournois au creux de la poitrine, un dégoût qui m’étouffe. Je vous croyais sensible à la justice, au bien, à ces simples vertus qu’on sert sans les nommer, parce qu’elles sont intimes.
    La face de Sicard lourdement enfoncée dans sa large carrure sourit, apitoyée, un peu narquoise aussi. Jourdain lui dit encore, tout enroué de rage retenue :
    — Moquez-vous, mille diables, moquez-vous donc ! Cet évêque vous plaît ? Moi, je le trouve odieux. Il ment. À son habit il ment, il ment à l’air qu’il respire, il ment à la vie même qui lui a été donnée. Que voulez-vous, je suis un homme sans détours. J’ai dans le cœur quelqu’un qui veille et me tient droit. Je ne sais si c’est Dieu, il ne me parle pas. Si je trébuche, il m’aide. Si je me plains du monde, il s’embrume, il s’en va, et si je triche il me tourmente. J’aspire à le servir pour être aimé de lui. Je croyais que tout être, au fond, même le plus obscur, même le plus stupide, vivait ainsi, avec ce point de jour dans la tête ou le cœur. Suis-je assez ridicule ?
    — Non, Jourdain, non, mon fils.
    — Je vous dis des choses bien secrètes et qui ne devraient pas me sortir de la bouche, la lumière du dehors les rend malingres, dérisoires. C’est sur elles pourtant que ma vie s’est fondée.
    — La mienne aussi, Jourdain, répondit doucement le vieil homme.
    — Comment pouvez-vous donc jouir de ces mensonges où nous pataugeons tous ?
    — J’agis comme je dois. Que puis-je faire d’autre ?
    — Hé ! vous vous délectez du combat de ces fous qui se disputent le pays comme des chiens errants le cadavre d’un lièvre.
    — Comprends, mon fils, lui répondit Sicard. Je ne peux arrêter les armées en campagne. Il me faut donc peser du côté du plus fort, afin que la guerre soit aussi courte que possible. C’est là mon seul souci : éviter fut-ce un jour de malheur sur nos terres. Qu’importe le vainqueur, ils sont tous deux pareillement aveugles. Ils se croient grands joueurs. Au-dessus de leur tête eux-mêmes sont joués par le pape de Rome et par le roi de France. Ceux-là règnent. Et

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