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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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suivre un moment des pensées trop agiles, et soudain s’échauffant :
    — Je suis curieux, comprenez-vous ? Voir et savoir sont à mon goût des jouissances délicieuses entre toutes. Messire Jourdain du Villar, armé de vérité, peut-il troubler un peu les tout-puissants renards qui gouvernent nos vies ? J’en doute. Je suppute. J’espère follement de lui quelque miracle. Je m’amuse, vous dis-je.
    Un rire triste secoua sa poitrine. Il fit un geste inconsistant, laissa tomber ses bras, se tint la tête basse à contempler le feu, puis :
    — Bah ! peut-être êtes-vous ma chance de salut, dit-il. Servir par simple estime un homme qui m’émeut, et par cet entrebâillement du cœur échapper s’il se peut à l’enfer où je suis. Voyez, je me livre à vous plus que nu.
    Il sourit encore pour lui seul, dressa la main.
    — Mais peut-être, mon bon, est-ce encore une ruse, dit-il, l’œil rallumé.
    Jourdain sourit aussi. Il pensa, étonné : « Je n’aurais jamais cru le diable aussi touchant. » Il remua la tête, répondit doucement :
    — Vous auriez fait un bon prélat.
    — Non, j’ai trop peur de Dieu, dit Jacques d’Alfaro, jouant l’effarouché. Vous n’imaginez pas de quelles fourberies sont capables les gens d’Église. Savez-vous bien, mon cher, qui nous avons servi en étripant ces clercs en chemise de nuit ? Monseigneur du Falgar, évêque de Toulouse. Lui d’abord. Lui surtout.
    — Vraiment ? gronda Jourdain.
    L’autre eut un coup de front dans l’air et dit encore :
    — À l’heure où vous quittiez votre repaire de montagne avec votre bande d’escogriffes, vous, Jourdain du Villar, saviez-vous où vous portait votre cheval ? Je suis bien sûr que non. Mais lui, ce même jour, tandis qu’il recevait quelques barons français, déjeunait d’un poisson et somnolait en priant Notre-Dame, lui savait.
    Il laissa aller un rire silencieux et pourtant si débordant que des larmes lui vinrent.
    — Seigneur Dieu, dit Jourdain, qui l’avait informé ?
    — Hé ! qui d’autre que moi ? s’insurgea d’Alfaro, la mine tout à coup méchamment orgueilleuse. Me prenez-vous pour un évaporé, messire du Villar ? J’avais à me garder de ses foudres possibles. Quand il fut décidé d’encourager ces meurtres, comme doit faire un fils tourmenté par le doute je suis allé le voir avec ce beau secret que venait de nous pondre notre comte Raymond. Certes, je pressentais qu’il n’interdirait rien.
    Il regarda son hôte, se tut un instant, et se prenant soudain de sollicitude grondeuse :
    — Ne faites pas la moue, mon cher, vous me fâchez. Je vous dis ce qui fut. Craignez-vous de l’entendre ?
    Jourdain resta muet à contempler les dalles entre le feu ronflant qui lui brûlait l’épaule et l’effrayant babil de cet homme qui peut-être dévidait par méchante malice son écheveau de vérités sans âme, ou peut-être se livrait éperdument, par fatigue de feindre, comme on se donne au jugement de Dieu. Il apprit de lui que Jean du Falgar, évêque de Toulouse, avait ces temps derniers reçu trois fois monseigneur Jacques dans son oratoire privé, hors de toute présence, sauf celle d’un chaton en boule ronronnante contre son ventre rond. Au premier rendez-vous le prélat l’avait écouté avec une attention apparemment sereine, puis, son triple menton répandu sur son col, le regard fixe, il s’était absenté du monde. Il avait enfin murmuré les noms de ces clercs menacés d’attentat : Saint-Thibéry, Arnaud. D’un souffle exténué il avait dit :
    « Que Dieu leur vienne en aide. » Après quoi il avait quitté son fauteuil, et tenant sa bête menue agrippée à sa poitrine il s’en était allé ouvrir la porte de la pièce en souhaitant le bonsoir à son visiteur. La veille de la tuerie, après qu’il eut à nouveau reçu son élégant espion, il avait envoyé un moine de sa suite à l’hôtel du sénéchal du roi de France, point pour lui demander d’aller avec sa troupe au-devant de ces gens descendus des montagnes avec leur crime en tête, mais pour le prévenir, sans rien lui dire d’autre, d’avoir à renforcer incessamment les fiefs tenus par les croisés. Le lendemain des meurtres, à peine d’Alfaro revenu du massacre, monseigneur du Falgar, l’œil brillant, les joues roses, lui avait demandé de quelle humeur, ces jours, était le comte de Toulouse. L’autre ne lui avait pas dissimulé que son demi-frère s’était

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