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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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encore ! Ils font ce que permet la cuillère de Dieu qui de là-haut remue la pauvre soupe humaine.
    Jourdain resta muet, la mine rechignée. Sicard l’examina, partit d’un beau rire tranquille, dit enfin :
    — Tu te crois vertueux, tu n’es qu’un peu rêveur. Et ton indignation n’est utile à personne. Donc elle n’aide pas Dieu. Peignon, sers-nous à boire.
    Le bonhomme autour d’eux aussitôt s’empressa. Ils burent en silence, se servirent encore à la cruche de grès, puis maître Lalleman, contemplant son vin frais dans la lumière dorée de la lampe, se prit à parler seul. Il dit, l’air tout pensif :
    — Je n’ai pas d’apprenti, j’aurais aimé t’instruire. Je t’aimais fort, cousin, quand tu étais petit. En vérité, c’était toi qui m’attirais au Villar. As-tu jamais su cela ? Tu n’as guère grandi, le même feu te brûle, mais il ne t’éclaire plus aussi librement qu’autrefois. Pourquoi ? Tu devrais être, à ton âge, comme le soleil à midi. Si tu l’avais voulu, je t’aurais appris l’art des guerriers d’esprit, la ruse, le mensonge, l’intrigue. Ne fais pas la grimace, mon fils, ce ne sont pas des vices mais des armes, de simples armes. Seul compte l’usage qu’on en fait. Nous pouvons marcher droits, courbés ou de guingois, qu’importe, si nous prenons garde de ne jamais oublier la lumière qui brille au loin, toujours plus loin de nous. J’aurais aimé t’apprendre cela, et aussi à jouir sans vains renâclements des belles fourberies autant que des victoires sur les mauvais joueurs. Mais tu vas t’en aller, n’est-ce pas ?
    — Oui, sans doute.
    — On t’en empêchera et je ne pourrai rien.
    — Je n’ai pas d’autre choix.
    — Montségur est perdu, Jourdain, reste à Toulouse.
    — Sicard, m’aimeriez-vous si je vous écoutais ?
    Maître Lalleman hocha la tête, repoussa son gobelet à demi plein, soupira :
    — Je prierai saint Martin de veiller sur toi et de m’épargner un malheur.
    Puis il quitta son siège, ouvrit grand les bras. Tandis qu’ils s’étreignaient, Jourdain souffla contre sa joue :
    — J’aurai bientôt un fils, mon cousin, si Dieu veut.
    — De ta Jeanne, brigand ? demanda le vieil homme en même confidence.
    — Oui.
    — Je te les garderai. Va, sacredieu, avant que je me fâche.
    Mais il retint son jeune parent et l’étreignit encore. Il ne s’en détourna que pour brandir le poing au train de Peignon qui rôdait autour d’eux sous prétexte de ménage, le pas vague, l’œil vif et son long cou tendu à leur conciliabule.
     
    Au logis du Pont-Neuf où il revint sans hâte Jourdain trouva Jeanne assise dans la lueur de la chandelle avec sur ses genoux une chemise neuve qu’elle s’appliquait à coudre à longues tirées de fil. Elle lui fit un sourire furtif. À son air de fraîcheur, à l’éclat de son œil, au faux empressement qu’elle mettait à son ouvrage il sut qu’elle venait à l’instant de rentrer du devant de la porte où elle avait guetté son retour jusqu’à voir son ombre paraître sous la lune immobile entre les maisons hautes. Il lui dit d’un ton revêche qu’il était fatigué, que Sougraigne était mort, et grimpa sans autre mot à leur chambre perchée sous la pente du toit. Il craignait en vérité qu’elle ne le harcèle de ces questions pesantes dont il la sentait occupée. Elle ne tarda guère à le rejoindre. De la litière large où il était couché, entre ses paupières à demi closes il la regarda se dévêtir dans la pénombre jusqu’à la voir nue enjamber ses jupons affaissés sur le plancher, puis il la sentit se glisser sous la couverture et se blottir frileusement contre son dos. Elle resta ainsi un moment à chercher mille manières de s’accoler plus étroitement à lui, puis elle haussa son visage jusqu’à son oreille et murmura :
    — Jourdain ?
    Il lui répondit d’un grognement ensommeillé. Alors elle lui dit à voix basse :
    — Un sergent est venu tout à l’heure. Il m’a dit qu’une messe solennelle serait célébrée ce prochain dimanche au château d’Avignonet pour le repos de ces inquisiteurs qui s’y sont fait tuer. Il m’a dit qu’il y aurait monseigneur l’évêque et le comte de Toulouse. Il m’a dit que monseigneur d’Alfaro désirait t’y amener avec lui.
    Elle se tut, hésita, puis :
    — Il m’a dit aussi que je serais la bienvenue si je voulais y venir.
    Elle eut un petit rire, appuya la joue entre

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