L'hérétique
d’argent représentant une bête étrange tenant une
coupe.
Des cavaliers anglais chargeaient le flanc de l’attaque
française, mais les masures de Nieulay dissimulaient cet engagement aux yeux de
Thomas. En revanche, d’où il se trouvait, il pouvait parfaitement voir le pont
envahi de fuyards courant en tous sens pour échapper à la furie ennemie. Et sur
la rive opposée, il remarqua à nouveau ce petit groupe de chevaliers
s’éloignant vers la mer. L’archer décida de les suivre depuis la rive anglaise
du ruisseau. Il quitta la route de la berge pour sauter de touffes d’herbe en
touffes d’herbe. Par instants, il ne pouvait éviter de patauger dans une flaque
d’eau ou dans la vase qui s’accrochait à ses bottes. Bon gré mal gré, il se
retrouva au bord de la rivière. Une marée lourde de vase remontait vers
l’intérieur des terres. L’air saumâtre charriait des relents de décomposition.
À cet instant précis, il reconnut effectivement le comte de
Northampton. Celui-ci était son suzerain, l’homme qu’il servait. Si les liens
étaient relativement lâches et les obligations peu contraignantes, sa bourse
était généreuse. De l’autre côté du cours d’eau, le comte observait les
Français victorieux. Il ne faisait aucun doute qu’ils allaient bientôt
s’attaquer à lui. L’un de ses hommes d’armes avait mis pied à terre et tentait
de trouver un sol suffisamment ferme pour permettre aux chevaux caparaçonnés
d’atteindre la rivière. Une dizaine d’autres cavaliers avaient quitté leur
selle. Debout ou à genoux, ils s’étaient positionnés en travers du chemin par
lequel les ennemis allaient arriver. Écu et épée en main, ils se préparaient à faire
face à la charge imminente. Dans le hameau, le massacre de la garnison anglaise
était maintenant consommé. Alors, tels des oiseaux de proie, les Français se
tournèrent voracement vers leurs adversaires haïs, piégés à l’extrémité de la
bande de terre.
Thomas s’engagea dans la rivière. Il brandissait son arc
bien au-dessus de sa tête, car une corde mouillée ne tirait pas. Autour de ses
jambes, il sentait le courant de la marée montante. Bientôt, l’eau lui arriva à
la taille. Enfin il put remonter sur la rive bourbeuse et il courut vers
l’endroit où ses compatriotes s’apprêtaient à recevoir la première charge
ennemie. Thomas s’agenouilla près d’eux dans la boue. Il étala ses flèches
devant lui sur la vase, en prit une.
Un groupe de Français approchait. Les cavaliers – au
nombre d’une dizaine – progressaient sur le chemin, mais sur leurs flancs
des fantassins pataugeaient dans l’eau marécageuse. Thomas ignora ces derniers.
Il leur faudrait du temps pour atteindre la terre ferme. Les chevaliers représentaient
une menace plus immédiate, sur laquelle il se concentra.
Il tira sans réfléchir, sans viser. L’archerie était sa vie,
son art, sa fierté. Il se servait d’un arc de guerre en bois d’if, plus grand
qu’un homme, pour tirer ses flèches de frêne, empennées avec de bonnes plumes
d’oie et dotées d’une pointe boujon. Comme le grand arc se tirait à l’oreille,
il était inutile de viser avec les yeux. C’étaient les années de pratique qui
permettaient à un homme de savoir où sa flèche allait aller.
Thomas commença à tirer, à un rythme frénétique, une flèche
tous les trois ou quatre battements de cœur. Les plumes blanches filaient
au-dessus des marais et les longues pointes d’acier perforaient mailles et cuir
pour s’enfoncer dans les chairs, les cuisses, les poitrines, les ventres
français. Elles frappaient leur cible avec un bruit de hachoir de boucher
tranchant la viande. Cette volée de traits meurtriers stoppa net la charge des
cavaliers. Deux se mouraient et une flèche avait perforé le haut de la cuisse
d’un troisième. Ceux qui suivaient ne pouvaient contourner leurs camarades
abattus parce que le sentier était trop étroit. Alors, Thomas se mit à viser
les fantassins barbotant péniblement dans l’eau bourbeuse. La puissance d’une
seule flèche suffisait à rejeter un homme en arrière. Si un soldat levait son
bouclier pour protéger la partie supérieure de son corps, l’archer lui tirait
une flèche dans les jambes. Son arc était peut-être vieux, mais il était encore
d’une méchante efficacité. Le jeune homme avait passé plus d’une semaine en mer
et, en tirant la corde, il sentait des douleurs dans les muscles
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