L'hérétique
françaises.
« Des milliers de ces bâtards montrent leur nez sur la
crête, lui avait dit l’intendant du comte, alors Sa Seigneurie a voulu aller
les défier. Il s’ennuie. »
L’administrateur avait alors tourné son regard vers le grand
coffre de bois qu’encadraient les deux compagnons du jeune homme.
« Et qu’y a-t-il là-dedans ?
— Des prises faites sur… des nez qui se sont un peu
trop montrés ! » répondit l’autre avant de mettre à l’épaule son long
arc noir, d’attraper un sac de flèches et de s’éloigner.
Son nom était Thomas. Parfois, on précisait Thomas de
Hookton. D’autres fois, il n’était que Thomas le Bâtard et, s’il voulait être
très formel, il pouvait se donner le nom de Thomas Vexille – ce qu’il
faisait fort rarement. Les Vexille constituaient une famille noble de Gascogne.
Thomas de Hookton était le fils illégitime de l’un d’eux, un fugitif qui ne
l’avait laissé ni noble, ni même… Vexille. Et certainement pas gascon. Thomas
était un archer anglais.
En traversant le camp, Thomas attira de nombreux regards. Il
se distinguait déjà par sa haute taille. Sous le bord de son casque de fer, on
voyait poindre sa courte chevelure noire. S’il était encore jeune, la guerre
avait endurci son visage. Des joues creuses, des yeux sombres et vigilants, un
long nez, cassé au cours d’un combat, complétaient ses traits. Sous sa cotte de
mailles ternie par le voyage, il portait un pourpoint de cuir, une culotte
noire et de hautes bottes de cheval de même couleur sans éperons. Une épée dans
son fourreau battait son flanc gauche. Sur son dos se balançait un havresac et
sur sa hanche gauche un sac de flèches blanc. Il boitait, très légèrement. On
aurait pu croire que cette claudication était le résultat d’une blessure reçue
au combat. En réalité, elle lui avait été infligée par un ecclésiastique au nom
de Dieu. Ses vêtements dissimulaient la plupart des cicatrices que lui avait
laissées cette torture, sauf celles de ses mains. Au cours de ce martyre,
celles-ci avaient été brisées et elles étaient restées depuis lors
boursouflées, leurs doigts tordus rappelant des serres d’aigle. Du haut de ses
vingt-trois ans, Thomas était un tueur.
Il dépassa les camps des archers. Partout pendaient des
trophées plus ou moins glorieux. Il vit une cuirasse française de solide acier
transpercée par une flèche. On l’exhibait pour montrer ce que les archers
faisaient aux chevaliers. Près d’un autre groupe de tentes, des queues de
cheval étaient accrochées à un poteau. Une cotte de mailles rouillée et
disloquée avait été remplie de paille, suspendue à un jeune arbre et
transpercée de flèches. Au-delà des tentes commençait un marécage qui empestait
tel un cloaque. Thomas poursuivit sa route. Il pouvait voir les Français
déployés sur les crêtes au sud.
Il y en a là un bon nombre, songea-t-il, beaucoup plus que
nous n’en avons tué entre Wadicourt et Crécy. Tue un Français, et il en arrive
deux autres.
Droit devant lui, il aperçut un petit pont et un hameau de
l’autre côté de la rivière. Tout autour de lui, des hommes accouraient du camp
pour aller former une ligne de bataille et défendre le pont. Les Français
attaquaient le petit avant-poste anglais sur la rive opposée et faisaient mine
de vouloir traverser. Ils dévalaient la colline en grand nombre. Un peu plus à
droite, le jeune archer repéra aussi un petit groupe de cavaliers isolé.
Probablement le comte de Northampton et ses hommes, pensa-t-il. Dans son dos,
il entendit un canon anglais tirer un boulet de pierre sur les murs meurtris de
Calais. Atténué par la distance, le son gronda au-dessus des marais et
s’évanouit pour laisser place au choc des armes en provenance des tranchées
anglaises.
Thomas ne se pressait pas. Ce n’était pas son combat.
Cependant, il attrapa son arc, tendit sa corde. Ce faisant, il nota à quel
point cela était devenu aisé. L’arc était vieux et de plus en plus fatigué.
Jadis parfaitement droite, sa verge noire en bois d’if se courbait maintenant
légèrement. Elle avait suivi la corde, comme disaient les archers, et le jeune
homme savait qu’il était temps de se fabriquer une nouvelle arme. Toutefois, il
estimait que son vieil arc pouvait encore abattre quelques Français, et il
avait de l’affection pour lui. Il l’avait lui-même teint en noir et avait fixé
sur le bois une petite plaque
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