L'Héritage des Cathares
les serfs à honorer leur seigneur en plantant un arbre devant le manoir et en le décorant convenablement pour célébrer l’arrivée du printemps et le retour de la fertilité. À l’automne, j’exigeai que chaque chef de famille se présente à ma porte pour me prêter publiquement foi et hommage et qu’il s’engage sur son honneur à accomplir convenablement ses devoirs de serf.
Montbard et moi implantâmes encore dans le village une grande innovation. La réputation de terre inhospitalière que nous avions construite pour Rossal suffisait, dans l’immédiat, à lui assurer la tranquillité, mais nous n’étions pas dupes. Si nous savions exercer des représailles sauvages en nous glissant nuitamment parmi les brigands pour les occire, nous devions aussi pouvoir résister à l’assaut organisé d’une bande nombreuse. Il était aussi toujours possible que nos succès finissent par susciter chez les brigands un désir de vengeance. Je décrétai donc qu’une milice serait mise sur pied et donnai ordre au maître d’armes d’y voir.
Montbard conçut une stratégie défensive qui tirait parti des lieux. Cette mesure, nous la raffinâmes ensemble. Lorsque nous fûmes satisfaits, je commandai au forgeron de longues piques acérées. Puis les hommes valides furent divisés en groupes, chacun ayant un rôle précis. Notre stratégie s’appuyait sur le grand nombre d’habitants tout en compensant leur manque de familiarité avec le combat. Elle comptait sur l’effet de surprise, les brigands n’ayant pas l’habitude de faire face à de la résistance. Elle dépendait aussi du courage de nos serfs et de leur volonté à protéger ce qui était leur. Il s’agissait simplement de prendre les éventuels ennemis en souricière. Chaque nuit, trois hommes monteraient la garde autour du village, selon une rotation établie à l’avance. À l’approche d’étrangers, tout le village devait s’empresser vers l’étable de mon père et se munir des piques qui y seraient entreposées. Puis les hommes devaient disparaître derrière les maisons, ne laissant que les femmes, les enfants et les vieillards pour accueillir les intrus. La moitié d’entre eux avaient pour mission de bloquer les quelques chemins menant au village, rendant toute fuite impossible. Les autres surgiraient, encercleraient les brigands et abattraient leurs chevaux. Une fois les assaillants au sol, ils les achèveraient prestement. Ceux qui parviendraient à s’échapper seraient accueillis sur le chemin et subiraient le même sort. Dans le meilleur des mondes, aucun brigand n’en sortirait vivant.
Montbard prit charge de l’entraînement des villageois, qui ronchonnèrent abondamment tout en ayant la sagesse de ne pas protester ouvertement. Une fois la semaine, il les dirigeait avec autorité pendant une journée entière, les faisant répéter jusqu’à écœurement, maudissant leur maladresse et jurant comme le templier qu’il était. Bien qu’il approchât le demi-siècle, le maître d’armes était encore fort et agile. J’étais sans doute le seul à voir que ses réflexes étaient un peu plus lents que lorsqu’il était arrivé à Rossal, dix ans auparavant. Il démontrait sans relâche comment manier la pique, faisant recommencer les paysans jusqu’à satisfaction, bottant le cul des plus maladroits et les menaçant des sévices les plus imaginatifs.
— C’est pourtant facile, bougre de demi-part ! Tu la pointes et tu l’enfonces ! Ventredieu ! Mais qui m’a fichu cet animal sans cervelle ? Allez ! Un peu d’énergie, que diable ! J’espère pour ta femme que ta verge est plus raide que tes bras !
Il était entendu qu’en cas d’attaque, les opérations seraient dirigées par le templier défroqué ou par moi-même. Mais, si nous étions tous deux absents, les villageois devaient pouvoir procéder seuls et protéger Rossal. Montbard ne les lâcha donc qu’après des mois, lorsque les manœuvres furent effectuées avec un minimum de coordination. Quant au père Prelou, il observait de loin, la bouche pincée, et je le connaissais assez bien pour savoir qu’il désapprouvait tout cela. Sa tâche était toutefois de voir au salut des âmes et la mienne, de tirer parti de leur corps. Chacun respectait tacitement le territoire de l’autre et cela était bien ainsi.
Il va sans dire que toutes ces méthodes furent honnies par les serfs, peu habitués à s’en faire tant demander. Ils firent cependant contre
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