L'histoire secrète des dalaï-lamas

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Kama-sutra au Potala
    Lhassa, entre 1682 et 1697.
    Avec la disparition de Ngawang Lobsang Gyatso, la pérennité de la lignée des dalaï-lamas repose sur le régent et sur le cinquième panchen-lama. La période de deuil à peine achevée, une première réunion se tient autour de Sangyé Gyatso et de Lobsang Yeshé dans le temple de Namgyal, à l’intérieur du Potala, dans le but d’évoquer la renaissance du souverain tibétain. Y participent les trois oracles d’État, un des oracles du Panchen-lama et les principaux religieux gelugpas.
    Les mêmes dignitaires se retrouvent à Lhassa, un matin d’avril de 1683 : le régent demande à Lobsang Yeshé de se rendre au lac des Visions. Malgré la mort cachée du souverain tibétain, les recherches de sa réincarnation se poursuivent. Mais rien n’indique pour l’heure que le dalaï-lama est déjà revenu.
     
    Il est de retour ...
     
    C’est pure folie que de s’aventurer si près des berges par une nuit de pleine lune. La tempête secoue la montagne, le vent mugit. Début mai 1683, le Panchen-lama s’est installé au monastère de Chökorgyal. Le 22, Lobsang Yeshé, accompagné par dix lamas de son monastère, entreprend une série de rituels quand, soudain, le lac se met à parler. Des scènes apparaissent. Indéchiffrables d’abord, elles prennent peu à peu la forme de mandalas, qui se forment, se déforment... D’autres signes s’ajoutent : les eaux déferlantes découvrent le mont Kailash [88]  ; et ce AH... oui, c’est bien la lettre suprême, de plus en plus présente dans les visions et les interprétations qu’il en fait. Le visage du Grand Cinquième lui apparaît dans un tumulte assourdissant : Ngawang Lobsang Gyatso sourit en lui indiquant l’ouest du Tibet d’un léger mouvement de la tête...
    Autres métamorphoses, autres visions, cette fois dans le ciel, où le vent bourrasque et transforme les nuages : une femme sort d’une maison ; jeune, belle, elle porte une ravissante coiffe multicolore et lui présente son nouveau-né.
    Nouveau vacarme, juste au-dessus des eaux qui se cristallisent, avant de devenir laiteuses. Un enfant pleure... Son visage apparaît, de plus en plus net. S’approchant du panchen-lama, il lui murmure à l’oreille : « Je serai bientôt auprès de toi... et nous irons ensemble dans mon palais. »
    Le panchen-lama médite toujours. Il est le seul à avoir vécu ces visions, qu’il retranscrit soigneusement sur un parchemin, avant de le sceller de son sceau aux armes de Tashilhunpo.
    À Lhassa, le document est ouvert en présence du régent et les signes sont interprétés une première fois : le AH , nous l’avons vu, est le signe d’une réincarnation ; l’enfant est protégé par les divinités du mont Kaikash ; la coiffe est d’origine monba, une région des Indes aux confins de la frontière bhoutanaise, dans l’actuel Arunachal Pradesh.
    C’est à Tashilhunpo que le cinquième panchen-lama se voit confirmer une dernière fois les visions. Ses trois oracles et le conseil des khenpos, les abbés qu’il consulte pour chaque décision importante le concernant ou liée à la vie de son monastère, s’accordent sur un même point : l’urgence de se mettre en route, à la recherche de l’enfant réincarné.
    Sur ordre du régent, plusieurs groupes de recherches ont déjà quitté Lhassa. De Tashilhunpo, partent trois autres délégations : deux ont pour mission de sillonner l’ouest du pays et de repérer les candidats à la succession du Grand Cinquième ; la troisième franchit la frontière et se dirige tout droit vers le pays monba, qu’elle atteint au printemps 1684.
    C’est ce groupe conduit par un des khenpos de Tashilhunpo qui finit par trouver l’enfant. Son père, Tashi Tenzin, et sa mère, Tsewang Lhamo, ont des origines tibétaines. Ils sont bouddhistes de l’ancienne école Nyingma et leur clan s’avère très influent dans la vallée du Mœun.
    Pour permettre au panchen-lama et au régent de saisir l’importance de cette rencontre, le lama a pris le soin de noter le moindre détail de la vie des parents du petit garçon, né au mois de mars 1682, l’année de la disparition du cinquième dalaï-lama. Tashi Tsering et Tsewang Lhamo ont fait des confidences sur la naissance de leur fils, racontant leurs rêves, les corbeaux battant des ailes, le halo si particulier de l’arc-en-ciel, et l’insistance de l’enfant à rejoindre son palais-résidence... Cependant,