L'histoire secrète des dalaï-lamas
Sangyé Gyatso. On le sait, Kangxi ne l’apprécie guère. Non seulement il lui reproche d’avoir soutenu Galdan Khan, le chef des Dzoungares, mais encore d’avoir caché la mort du cinquième dalaï-lama et la présence de son successeur pour pouvoir régner seul sur le Tibet. Or, voici que lui sont parvenues à l’oreille les frasques du sixième dalaï-lama. Certes, Rigdzin Tsangyang Gyatso ne représente pas de danger immédiat, mais ce qui l’irrite, c’est que Sangyé Gyatso favorise les débauches du jeune souverain afin de garder les pleins pouvoirs. Aussi Kangxi attend-il la première occasion pour se débarrasser du régent et lui choisir un successeur.
Depuis le début des années 1700, les Qoshots, alliés de la Chine mandchoue, occupent le Kham. Or, le chef Qoshot – Lhabsang, un petit-fils de Gushri Khan –, qui a déjà échappé à deux tentatives d’empoisonnement fomentées par Sangyé Gyatso, n’attend qu’un mot de l’empereur pour lever ses hordes et marcher sur Lhassa. En 1705, l’ordre tombe. Lhabsang Khan occupe bientôt Lhassa et tue le régent. Le sixième dalaï-lama ne lui oppose, de son côté, aucune résistance. Il est destitué le 27 juin 1706 et placé en résidence surveillée au monastère de Drepung. En remplacement, le chef des Qoshots impose son fils naturel, lama médecin au Chakpori.
À Pékin, Kangxi applaudit des deux mains et fait de Lhabsang le nouveau roi du Tibet, titre en vigueur depuis que Gushri Khan, le grand-père du chef qoshot, avait imposé le cinquième dalaï-lama comme chef temporel.
Fin octobre 1706, Kangxi ordonne le transfert du sixième dalaï-lama en Chine. C’est depuis le lac Gunganor, au sud du Kokonor, dans l’Amdo tibétain que Rigdzin Tsangyang Gyatso écrit ce dernier poème qui fera office de testament :
Ô vous rassemblés ici !
Écoutez la chanson triste que je veux vous chanter.
Moi qui voyage loin de mon pays de neige ,
Et vous qui êtes nés dans cette terre lointaine ,
Nous voilà face à face en ce jour d’auspices ,
Et les clefs des hautes castes se saluant l’un l’autre Se sont rencontrés en ce jour merveilleux.
Bien que j’aie laissé ma patrie derrière moi ,
Tout augure bien du succès de grands desseins.
Profondément en moi, trois fois naît le souci...
Dans mon cœur enfermés, trois regrets aussi [98] ...
Quelques jours plus tard, le 14 novembre, le sixième dalaï-lama sera assassiné. Sur ordre de Kangxi ? Rien ne permet de l’affirmer aujourd’hui...
7
Un Tibet indépendant ?
Le septième dalaï-lama s’est manifesté le 3 septembre 1708 à Litang, dans le Kham. Son père, Sonam Dargyé, est un lama défroqué du monastère de Drepung ; de sa mère, Lobsang Chotso, on sait peu de choses sinon qu’elle lui enseigna les rudiments du Dharma. En 1710, le petit garçon de deux ans dit au cinquième panchen-lama, alors âgé de quarante-cinq ans, avoir eu des visions de Chenrézig, le protecteur du Tibet, et de Tsong-khapa, le fondateur de l’école Gelug. Il lui confie aussi vouloir rejoindre au plus vite Kumbum, le monastère, où il passera une grande partie de son enfance. Et, comme pour le sixième dalaï-lama, Lobsang Yeshé, assisté d’un autre tuteur, se charge de sa formation religieuse.
Depuis Lhassa, Labsang Khan, le chef des Qoshots et roi du Tibet, dépêche des émissaires à Kumbum, le monastère fondé par Tsongkhapa, où l’enfant de Litang a été transporté. La délégation tibéto-dzoungare s’empresse évidemment d’émettre les plus grandes réserves sur le choix de l’enfant comme successeur du sixième dalaï-lama, n’ayant aucun intérêt à l’apparition de ce symbole tant redouté. Au contraire des ambans, persuadés eux de se trouver en présence de la réincarnation tellement attendue.
À Pékin, l'annonce ne déride pas Kangxi. Lequel veut empêcher que le petit garçon de Litang ne tombe aux mains des Qoshots. L’heure est en fait venue de régler le cas de l’omniprésent Labsang Khan, prince qoshot vieillissant et alcoolique. Même s’il continue à lui payer tribut, l’empereur est en effet exaspéré par la situation à Lhassa. Du coup, un décret impérial du 10 avril 1710 officialise la reconnaissance du septième dalaï-lama.
Cette ingérence dans les affaires politico-religieuses du Toit du monde est un acte fort qui, pense-t-il, jouant des divisions tibétaines, lui permettra d’imposer le vieux rêve impérial d’une
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