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L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

Titel: L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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conduire vers une petite pièce vide qui avait dû être, un jour, un sas de désinfection. Une infirmière m’attendait. Elle interrogea le soldat. Il répondit que « … J’étais la dernière et que j’étais bien la Française. » Il resta un instant devant moi, m’observa sans rien dire, puis partit. Au moment de quitter le sas, il se retourna et me regarda une dernière fois. Avant d’entrer dans la salle d’opération je croisai une prisonnière que j’avais déjà aperçue dans le camp. Je lui demandai ce qu’on allait me faire. Elle me répondit que ce n’était pas grave. Qu’il s’agissait vraisemblablement d’un prélèvement. L’infirmière, d’un coup d’épaule, me poussa dans la salle.
    — D’abord je ne vis rien d’autre qu’une ampoule qui pendait au bout d’un fil et, sous l’ampoule, dans un cercle de lumière jaunâtre, un pot de confiture. Je retrouvai quelques instants des souvenirs anodins et lointains : des chansons enfantines, des jeudis, des vacances. L’étiquette multicolore, où je distinguais les mots « cerises » et « sucre » , me rappelait des cuisines tièdes, des buffets pleins d’odeurs de pain frais, et d’interminables goûters avec des cousins patauds et bêtas. Deux femmes en blouse me saisirent aux épaules. Je revins là où j’étais.
    — C’est alors que je m’aperçus que ce que j’avais pris pour une cuiller était en réalité un bistouri. Dans le pot de confiture qui m’avait fait rêver quelques secondes, il y avait un bistouri.
    — Je compris qu’il ne s’agissait pas d’un prélèvement. Je tentai de me dégager. Les deux femmes me tordirent les bras derrière le dos. La plus grande me dit qu’elle était tchèque et qu’elle était prisonnière comme moi. L’autre me murmura à l’oreille que je ne devais pas leur compliquer la vie et que, de toute façon, je ne pouvais échapper à ce qui m’attendait. J’étais venue pour une piqûre, je serais piquée.
    — C’était la première fois que j’entendais parler de piqûre. Je les suppliais de me dire pourquoi et où l’on allait me piquer. La Tchèque me sourit et me dit de ne pas m’inquiéter, qu’elles étaient médecins et qu’elles savaient qu’on n’en mourait pas, qu’il fallait me laisser faire « … sagement ». Une autre femme en blouse s’approcha de moi. Je la reconnus. C’était une Française. Elle, était vraiment docteur.
    — Elle aussi me dit qu’il ne fallait pas résister, qu’elle n’était pas fière du travail qu’elle faisait, mais qu’elle n’avait pas le choix.
    — Les deux Tchèques me saisirent par les bras. La Française m’attrapa les chevilles. Je hurlai. La Tchèque me gifla à toute volée. Étourdie, je me laissai traîner jusqu’au pied de la table sur laquelle, dans le pot de confiture, luisait la lame du bistouri. Je réussis à m’arc-bouter encore une dizaine de secondes, puis je cédai à la fatigue. La Française me tira les jambes. Je vis la salle basculer. Je fus couchée et immobilisée sur la table de métal.
    — Je n’avais pas capitulé. Après avoir fait semblant d’être résignée, je hurlai de nouveau. Surprise, une des deux filles lâcha mon bras. Je me dressai et tentai de la repousser. Elle vacilla un instant, recula, et revint le poing en avant.
    — Parmi tous les atroces souvenirs de ce temps-là dont je ne suis pas parvenue à me débarrasser, le poing énorme de cette fille figure en bonne place. C’était un poing d’homme, une main épaisse et lourde dont l’index était orné d’une bague étrangement fine. Un simple anneau d’or avec deux perles. Une bague de fiançailles vraisemblablement arrachée à une prisonnière.
    — Aussi nettement qu’au cinéma lorsque l’acteur vise la caméra, je suivis la trajectoire de ce poing lancé vers mes yeux. Il m’apparut d’abord entouré du décor de la salle puis, comme au ralenti, je le vis emplir tout mon champ de vision jusqu’à ce que je n’aie plus devant moi que sa masse sombre, masquant totalement le paysage.
    — C’est alors que mon visage éclata. J’eus l’impression de me trouver sur une escarpolette folle qui ne s’arrêtait pas à mi-course, mais accomplissait des tours complets, à toute vitesse. Je sentis le sang couler de mon nez, s’accrocher à mon menton et glisser lentement des deux côtés de mon cou. Je perdis conscience.
    — Lorsque je revins à moi, j’étais immobilisée, les

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