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L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

Titel: L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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battue… plus jamais.
    — L’infirmerie n’était rien d’autre qu’une baraque comme les autres, vaguement badigeonnée de blanc. À l’entrée du chemin défoncé qui y menait, une flèche indiquait : « Revier. » C’est en suivant des yeux la direction de cette flèche que j’aperçus, allongé à même le sol, un hallucinant alignement des femmes nues. Je pensais d’abord qu’il s’agissait de prisonnières punies à qui l’on avait infligé ce supplice inédit. Lorsque je ne fus plus qu’à quelques mètres des femmes étendues, je m’aperçus qu’elles étaient mortes.
    — Il y avait là une cinquantaine de dépouilles décharnées sur lesquelles le brouillard, qui se dissipait lentement, avait posé une robe de rosée, comme un linceul étincelant et impalpable.
    — Je m’accrochai au bras de la Polonaise qui me repoussa. En tombant, mon genou heurta le pied d’une morte. Je me traînai jusqu’à la porte de l’infirmerie.
    — Nous attendîmes longtemps, à quelques pas de l’alignement des cadavres humides. Un homme en blouse blanche nous cria de nous déshabiller. Nous restâmes ainsi, nues, peut-être deux heures. Nous étions blêmes et peu de chose nous distinguait des autres femmes blêmes, allongées. Sinon que nous étions encore vivantes et verticales.
    — L’homme en blouse blanche revint, dit quelques mots à notre Polonaise qui nous poussa vers la porte ouverte.
    — D’abord, je ne distinguai rien qu’un long couloir sombre au fond duquel se découpait, devant une porte vitrée, la silhouette claire d’une infirmière. Elle nous fit entrer dans une sorte de cellule percée d’une fenêtre d’où l’on apercevait le ciel et, très haut, un soleil pâle.
    — Par la porte vitrée, je vis soudain surgir le visage d’une amie d’origine anglaise à qui un diplôme de la Croix-Rouge britannique avait permis d’être affectée à l’infirmerie. Elle me demanda ce que je faisais là. Je lui répondis que je l’ignorais et que maintenant, j’avais peur. Elle regarda un instant les gitanes, posa très doucement la main sur ma tête comme on fait aux enfants pour les rassurer. Elle me dit qu’elle allait tenter de savoir pourquoi j’étais là « avec des gitanes ».
    — Quelques minutes plus tard, l’Allemande en blanc revint et nous fit engager dans un long couloir vitré, d’où l’on apercevait des officiers examinant des plaques radiologiques ou, au tableau noir, des figures anatomiques. Puis elle nous poussa dans un autre réduit, sans fenêtre celui-là, mais beaucoup mieux meublé que la première salle d’attente-cellule. Il faisait une chaleur accablante. De lourdes gouttes de sueur coulaient le long des corps bruns des quatre filles silencieuses.
    — Un homme entra et appela un matricule. Une gitane se leva. Elle avait à peine vingt ans. Son visage était griffé par les épreuves et la fatigue, mais ses yeux étaient encore ceux d’une adolescente. Elle tourna la tête vers moi, esquissa un petit signe de la main et suivit le soldat. J’entendis la porte claquer ; puis une autre porte et, après quelques secondes de silence, un long cri qui s’éteint lentement, progressivement, comme le sifflement d’une sirène.
    — Lorsque la gitane revint, traînée par deux prisonnières, elle avait changé de regard. Ses yeux semblaient transparents comme ceux des drogués. Elle pleurait à petits sanglots rapides qui semblaient ne devoir jamais s’arrêter. Elle avait posé ses deux mains crispées sur son ventre nu.
    — L’une après l’autre les filles sortirent et j’entendis trois fois encore leurs hurlements. Comme la première, elles revinrent disloquées et hagardes.
    — J’attendis encore plus d’une heure. L’homme revint. Il portait un vieil uniforme vert et des bottes avachies. Sous son calot délavé apparaissaient quelques cheveux gris. Il se pencha vers moi et me demanda à l’oreille, presque sur le ton de la confidence : « C’est toi la Française ? »
    — Sans attendre ma réponse, il me prit par le bras et m’entraîna vers la porte. Je savais maintenant que j’allais vivre des minutes effroyables. Je résistai… Il me lâcha, surpris, me regarda, et me dit sans colère comme s’il s’agissait d’un événement inéluctable, d’une fatalité :
    — « Il faut y aller. »
    — Je le suivis.
    — On ne fit que quelques pas dans le couloir vitré. Il me prit de nouveau le bras pour me

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