L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes
messieurs de Berlin, le S.S. disparut ainsi qu’une bonne vingtaine de tsiganes. Ces jeunes embarquèrent en hurlant sur un camion. C’était un dimanche. Il pleuvait. Je n’entendis plus parler d’eux.
— Il y (161) avait bien effectivement à Buchenwald un Block entier, le Block 8, réservé aux enfants. C’est dire leur nombre, étant donné la capacité attribuée par nos maîtres à chacune de ces constructions. La raison de leur internement était variable. Certains avaient commis le crime impardonnable de naître dans un camp de concentration, leur mère étant grosse au moment de son arrestation. À vrai dire, cette catégorie était peu nombreuse : il fallait un concours de circonstances favorables exceptionnellement réunies pour que le nouveau-né survécût…
— Une seconde catégorie d’enfants comprenait tous ceux qui avaient été arrêtés en même temps que leurs parents. Il s’agissait presque toujours de déportés dits « raciaux ». C’était le cas, par exemple, du Polonais de trois ans et quatre mois victime de notre médecin chef S.S. Schiedlausky. C’était aussi le cas de deux petits Français considérés comme tsiganes, que l’esprit de « débrouillage » de leurs compatriotes avait permis d’affecter, malgré leur âge, au Block 31 (Flügel A). Le premier avait quatorze ans et vivait dans une roulotte avec ses parents, marchands de chevaux dans l’Ouest. Le second, âgés de douze ans quand nous l’avons connu à Buchenwald, habitait Douai, sa ville natale, quand il avait été arrêté, à l’âge de dix ans, avec ses parents…
— Ces deux jeunes Français auraient dû, malgré leur âge, travailler comme les autres forçats, car ils ne bénéficiaient pas, n’étant pas « aryens », du privilège des enfants de cette catégorie soumis au sort commun des détenus seulement à partir de quinze ans. Leurs compatriotes s’étaient arrangés pour leur épargner cette nouvelle souffrance. Ils restaient donc inoccupés dans leur Block pendant les heures de travail. Les détenus bénéficiant d’un Schonung pour une maladie ou une blessure s’efforçaient de les instruire un peu.
— On nous objectera peut-être qu’à tout prendre, Antoine n’était qu’un métis, un « michelin » (162) pour s’exprimer comme les savantissimes anthropologistes qui bâtirent les doctrines raciales du III e Reich. Nous répondrons que ce sont là des considérations oiseuses qui n’ont pas arrêté la juste colère de Schieldlausky lorsqu’il découvrit, embusqué dans un bon Kommando, un autre michelin, le Polonais Lullick, qui, à trois ans et quatre mois, était garçon de course à l’Effelktkammer (163) , inqualifiable abus.
— La troisième et dernière catégorie d’enfants-forçats pourrait être désignée par les termes de délinquante ou criminelle sans que nous sachions bien celui qui doit être employé…
— Certains de ces enfants, dont la plupart n’avaient pas dix ans, avaient eu une réelle activité guerrière. Nous devons à notre ami, le médecin commandant Sokolof, d’avoir pu converser avec deux d’entre eux et nous nous demandons par quel miracle ils étaient encore vivants. L’un d’entre eux avait glissé une charge d’explosif sous une voiture allemande qu’elle pulvérisa, ne tuant malheureusement que le chauffeur et un soldat. Le second, âgé de huit ans, avait fait mieux. Il se présentait tous les jours, à l’heure des repas, dans une maison occupée par des officiers allemands. Il gagna leur confiance par ses gentillesses. Puis, un beau jour, il vint avec un pistolet ou une mitraillette, nous n’avons jamais bien su, sous son manteau. Les officiers étaient à table : quatre morts dont au moins deux commandants. Il est probable que ces enfants n’eurent la vie sauve que parce que la Gestapo essaya par tous les moyens de savoir qui les avait poussés à leurs actes. Le second conservait d’ailleurs dans le dos et sur les fesses des traces indélébiles de ses entretiens avec elle. Ils firent de très longs séjours en prison, puis furent un beau jour déportés, probablement par hasard, car, bien entendu, les Allemands ne furent pas plus tendres avec les enfants russes qu’ils ne le furent avec les enfants français (164) .
— Quelles que soient les raisons qui les y avaient amenés, de nombreux enfants étaient détenus à Buchenwald, certains depuis quatre ou cinq ans. Seuls les « aryens »
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