Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

Titel: L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
Vom Netzwerk:
soudain tiré de ma rêverie par un bruit inaccoutumé. On eût dit la résonance d’une cour scolaire pendant la récréation, un bruissement joyeux de volière.
    — Surpris je m’approchai du Block 58, momentanément enclos dans un rectangle de barbelés et j’aperçus une multitude d’enfants jouant, courant, criant, comme le font les garçons et les filles de tous les pays du monde.
    — C’étaient des garçons de dix à quinze ans aux cheveux noirs plaqués, au teint basané, aux traits accentués des peuplades de l’Europe centrale. Il y avait là plusieurs centaines de petits tsiganes s’ébattant et s’époumonant avec l’insouciance de leur âge. Je les observai un grand moment et finis par remarquer particulièrement un groupe de quatre enfants plus calmes jouant sur un banc tout près de la clôture. Le plus grand, qui m’observait lui aussi, m’interpella en français :
    — « Monsieur, vous me changeriez cela ? »
    Il me tendait sur un morceau de papier une rondelle de saucisson.
    — « Contre quoi ? répondis-je.
    — « Des cigarettes, s’il vous plaît.
    — « Tu ferais mieux de manger, à ton âge. Tu es français ? Et tes camarades ?
    — « Moi je suis de Roubaix. Celui-ci est belge, celui-là allemand et l’autre hongrois. Nous parlons tous l’allemand.
    — « Pourquoi es-tu là ? Que font tes parents ? »
    — Une ombre passa dans les yeux bruns de l’enfant qui répondit en baissant la voix :
    — « Mon père et ma mère sont morts à Auschwitz. Nous avions été arrêtés comme nomades. J’ai un frère, mais je ne sais pas ce qu’il est devenu.
    — « Mes parents sont aussi disparus, fit le Belge.
    — « Et les autres ?
    — « Il y en a de tous les pays, le plus grand nombre est tsigane, mais c’est pareil : leurs parents sont morts ou disparus.
    — « Beaucoup les retrouveront, fis-je avec une fausse jovialité. Que je ne vous empêche pas de jouer. Au revoir, mes petits, et bonne chance !
    — « Au revoir, grand-père », répondit le jeune Roubaisien auquel les autres firent écho.
    — C’est vrai, avec mes hardes, mon bâton, ma barbe de dix jours et mes quarante-sept ans, j’étais un vieux devant cette jeunesse. Mon spleen avait dégénéré en une immense pitié pour tous ces pauvres gosses qui ne restèrent que quelques jours au camp. Je devais apprendre par la suite que tous les petits tsiganes ont trouvé la mort à Auschwitz, le fameux camp d’extermination.
    — Ces (159) enfants tsiganes de Buchenwald avaient mis au point un trafic de cigarettes un peu semblable aux opérations de « reconstitution archéologique » du père Gruber (160) . Il est vrai que plongés dans cet univers où s’épanouissaient tous les crimes, tous les vices, toutes les « combines » pour survivre, ces enfants étaient à rude école. Un tsigane, originaire d’Autriche – il avait à peine quinze ans – avait découvert qu’un gardien S.S. habitait la ville où ses parents revenaient régulièrement passer une partie de l’année. Le gardien, avant d’être mobilisé était quelque chose comme policier ou gendarme et il connaissait parfaitement la famille du tsigane. Le jeune garçon et le gardien établirent un plan qui fonctionna plusieurs mois. Les cigarettes, véritable produit de luxe comparable au sucre, à l’huile, au beurre, etc., étaient une denrée pratiquement introuvable pour les civils rationnés, surtout à un prix raisonnable. Les jeunes tsiganes à qui l’on allait procurer d’appréciables « rabiots » de nourriture n’avaient qu’à échanger des gamelles de soupe, des tranches de pain, des rondelles de saucisson ou des carrés de margarine contre des cigarettes. Le réseau des tsiganes qui améliorait déjà l’ordinaire par des chapardages ne devait pas comporter plus d’une dizaine de gosses. Tous les autres étaient tenus à l’écart du « secret ». Le S.S. avait sans doute d’autres complices car lorsque l’inspection générale des camps dépêcha à Buchenwald un enquêteur – il s’agissait probablement d’une dénonciation – le trafic portait sur plusieurs dizaines de paquets quotidiens, peut-être même cent qui, revendus au marché noir à l’extérieur du camp, rapportaient huit ou dix fois la mise à l’instigateur de cette « organisation ». Quant aux enfants, ils devaient être payés en barres de chocolat et… en promesses. Après le passage de ces

Weitere Kostenlose Bücher